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Disques

Crack Cloud – Pain Olympics

Après un faux premier album assez confidentiel (en fait une réunion de deux EP) et des concerts imparfaits mais prometteurs à l’été 2019 (Villette Sonique, Route du rock…), tout laissait attendre une montée en gamme et en régime de la part du collectif canadien Crack Cloud. On est donc un peu surpris face à la maigre moisson que constitue “Pain Olympics” : huit morceaux totalisant une petite demi-heure (1), tombés en outre au creux de l’été et dans une période où la musique semble mise sous l’éteignoir. Une longue tournée, évidemment annulée, aurait d’ailleurs dû assurer la promotion du disque, qui n’est qu’un élément d’une production multimédia plus vaste. Dans ce contexte, mieux vaut donc voir dans l’album la nouvelle étape d’un cheminement artistique et existentiel plutôt qu’une œuvre destinée à poser ses auteurs comme les nouvelles sensations de la musique indépendante.

Malgré sa brièveté un peu frustrante, “Pain Olympics” – tout de même enregistré sur une période de deux ans et demi – élargit la palette du groupe, qui avait livré jusqu’ici une sorte de postpunk-funk expérimental et lo-fi trouvant surtout sa justification dans l’exercice scénique. Le premier morceau, “Post Truth (Birth of a Nation)” – un titre ô combien évocateur du chaos actuel – démarre par des bruits indéterminés, la batterie massive de Zach Choy, leader officieux, chanteur et auteur des textes de la formation, un riff de guitare incisif puis la voix du même Zach. Suivent bien vite des chœurs féminins célestes sur une instrumentation idoine (harpe, glockenspiel, cithare ?), puis un break, puis une trompette jazz, avant le retour à la brutalité, scansion rap fusion et percus industrielles, sirènes de police, et de nouveau les anges. Un sacré kouglof (on pense un peu, en nettement plus audible, aux expérimentations des mythiques No Trend au milieu des années 80), où l’apollinien et le dionysiaque semblent se battre en duel, mais qui s’avère étonnamment digeste grâce à une production et un mixage soignés.

D’une façon identique, quoique moins poussée, le reste du disque fait se télescoper les genres, les styles et les instruments pas forcément destinés à se rencontrer : du saxo, des rythmiques krautrock, du chant hardcore, des guitares shoegaze, des voix tirées d’on ne sait quelles archives comme sur certains morceaux de Godspeed… A la sourde menace de “Bastard Basket” (nouvelle version, plus atmosphérique et aboutie, d’un morceau de leur premier EP cassette) répond l’exultation et le solo de batterie incongru de “Ouster Stew”, rappelant ce que la new wave américaine a pu faire de plus délicieusement tordu (Devo, Oingo Boingo, Suburban Lawns…).

Le très tendu “Tunnel Vision” tourne jusqu’à l’obsession autour d’un même riff pendant quatre minutes, un chant à la fois étranglé et batailleur à la Gang of Four laissant place à mi-parcours à des guitares furieuses. “The Next Fix” commence quant à lui comme un titre de hip-hop contemporain et se termine par un chant choral lumineux, voire extatique (qu’on retrouve aussi sur le dernier morceau, “Angel Dust”). Le clip est encore plus explicite : pour cette formation en partie constituée d’ex-addicts, impliqués dans des programmes sociaux à East Vancouver, la communauté fait la force.

Plutôt qu’une réponse nord-américaine à la rage de Fontaines D.C., Shame ou Idles, la musique de Crack Cloud se présente comme un laboratoire ou un atelier collaboratif. Si le résultat apparaîtra sans doute trop arty et déstructuré à certaines oreilles, on ne peut mettre en doute l’originalité et la sincérité de la démarche.

(1) Il existe en fait un pressage vinyle tiré à 500 exemplaires augmenté d’un 45-t de deux titres… sans doute déjà épuisé.

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