En neuf ans de vie à Stockholm, nous n’avons mis que deux fois les pieds à Bern’s. Haut lieu du Divertissement Fin de Siècle, il abrite la fameuse « Chambre rouge » dont Strindberg a fait le titre de son roman le plus fameux. Dire que Bern’s est toujours un lieu de décadence (toute relative, ça reste la Suède…) pour jeunesse huppée est encore en dessous de la vérité. Je n’en ai que de mauvaises expériences, vécues ou que l’on m’a racontées. Et pourtant, le lieu est grandiose. Il faut d’abord passer la fouille en rang (pas très maline d’ailleurs, cette fouille : j’ai pu sans problème dissimuler une bouteille d’eau. Le privilège de l’âge. L’expérience), se faire palper (mollement), scanner le billet, se faire tamponner, se faire indiquer le vestiaire (chaque étape nécessitant une personne), grimper l’escalier, verre et béton en colimaçon, qui modernise l’accès en le rendant pratique et en gardant le cachet au bâtiment lui-même, sous le regard des oreillettes musclées. A l’intérieur dorures, moulures, plafonds gigantesques, lustres luxueux, fresques de compositeurs au-dessus des galeries, glaces immenses…
La scène est installée dans l’alcôve géante du fond, un peu chœur, un peu hammam de turqueries XIXe. Une harpe trône au milieu. Que va-ton voir déjà ? Un gandin qui fait du blues rock graisseux ou « Peer Gynt » de Grieg ?
En fait, il s’agit d’une harpe romantique (un sacré bel objet, totalement démesuré mais bienvenu dans l’ambiance de la salle) dont va se servir Mary Lattimore accompagnée de Meg Baird (dont on avait bien aimé l’album de psyché heavy rock, « Heron Oblivion »). C’est la bonne surprise de cette affiche non annoncée. Lattimore (qui joue d’ailleurs sur le titre “Bottle It In” de Vile) se sample, triture ses échantillons avec son séquenceur sur les genoux. On est loin des douceurs de Joanna Newsom, elle joue plus, disons, en picking (si on peut employer ce terme en harpe), un jeu très sec qui colle bien avec les farfouillages folks psyché de Meg Baird. Nous sommes moins convaincus par le jeu de guitare électrique de cette dernière mais lorsqu’elle prend une belle folk, s’accorde davantage avec le jeu de Lattimore, on retrouve des ambiances sonores folk anglaises au diapason d’une musique résolument américaine. Du néo-tradi, c’est l’affiche qui veut ça.
Après Jurado la semaine dernière, c’est encore un public hyper bruyant qui décidément s’accorde peu avec ce qu’il vient écouter (« merci à ceux qui écoutent », dira Meg Baird). C’est peu stockholmois et on dirait que le public est venu pour le lieu, pas pour les artistes. Hautement improbable mais tout de même, quel bordel ! Ça gâche le dernier titre, tout doux, cordes pincées vs cordes quasi tirées sur fond de bouteilles en verre qui roulent jusqu’à nos pieds.
Pendant ce temps, les régisseurs plateau et autres roadies s’affairent en coulisses. Des (pas un, des !) racks de guitares à accorder (pas vu autant depuis Sonic Youth et Wilco). C’est pas un petit branleur de manche qu’on vient écouter ?
Ils débarquent enfin, les Violators (comment ne sont-ils pas censurés ici tout juste après le procès Arnaud ? Et après les diverses trakasserierau sein de l’Opéra sans compter les rumeurs au sujet du Dämon Regissör, mort et intouchable dont on fête cette année le centenaire. Tant pis pour le pilori). Un bon groupe de gamins doués, assez sur la réserve et visiblement heureux de jouer avec tout le bordel (un Mellotron, un Rhodes, un Arp plus trois ou quatre claviers et la quinzaine de guitares, chaque instrument utilisé une fois) et tout ça pour quoi : un bon rock bien gras, puisant autant dans la country la plus (post-)yodelisante que le blues le plus orthodoxe MAIS avec un son stoogien (ces fuzzs, ces flangers, ces distos, ces wah wahs.. Tout l’attirail est là) MAIS avec une batterie presque disco MAIS avec une nonchalance d’écriture et d’attitude qui renvoie Stephen Malkmus au bac à sable.
Tout est aussi dans l’apparence : les T-shirts portés, « Dirty Deeds Done Dirt Cheap » (Saint AC/DC) et Dee Dee Ramones, ne trompent pas. Même physiquement, Kurt Vile est un mélange d’Angus Young et de Dave Mustaine. Même lèvres lippues, même chevelure ondulée impossible, même dos vouté, le tout campé sur des jambes arquées (au petit poney). Kurt Vile est une création d’un Nutty Professor pop, un ersatz indie cloné. Et qui joue comme Mark Knopfler. Avec le même geste de baladin, notez bien (annulaire posé sur la caisse), mais appuyant régulièrement et violemment, comme un sale gosse, sur ses pédales pour hacher son son.
Le potage est bon (évidemment mille fois trop fort), bien fait et c’est super de le voir masteriser son instrument, pardon ses nombreux instruments, mais quelle attitude de branleur ! Visiblement agacé par un « ghost in the machine » en début de concert (qu’ont donc fait les roadies qui ont zoné pendant une bonne demi-heure à tout rechecker de manière ridicule ?), il ne marmonnera que quelques « Yeeeeep´ ! », « Lov’ ya » et autres « Yaaaaaaa » pendant tout le concert. Avec encore plus d’insistance sur son accent traînant et en montagnes russes.
J’ai beaucoup médit sur la salle mais, et c’était très chouette, un responsable sécu a fait passer des gobelets d’eau régulièrement par la fosse jusqu’à la moitié de la salle. Et, avec les pichets d’eau et gobelets à dispo dans toutes les salles de concerts, ça fait partie des grands avantages sociaux de ce pays.
Nous avons eu droit aux nouveaux tubes du tout juste sorti (trois jours avant) « Bottle It In », fort bien accueillis par le public d’ailleurs (merci Internet) : « Bassackwards » sans les glissades dans la chanson mais aux claviers maltraités avant (ce sera souvent le cas pour les nouveaux morceaux qui resteront bruts dans leur forme contrairement à l’album), « Check Baby », bien heavy, bien gras (très belles basses), « Skinny Mini » aussi, tunnel dans lequel on aime rester (du krautblues).
Bien sûr, tout le monde attend les tubes du précédent « B’lieve I’m Going Down », quand un impatient ne réclame pas dès le début « Pretty Pimpin’ »… C’était un peu l’écueil de ce concert, et de l’album, que faire après avoir pondu un total classique ? Le public regarde un peu trop en arrière, c’est toujours beaucoup d’attente et beaucoup de déceptions.
Bonne surprise, il joue surtout les petites merveilles douces. « Stand Inside » notamment, solo ou presque, avec un jeu de guitare hyper répétitif et tout de même assez dingue et un rythme sur-nonchalant et accent tellement outré qu’on a l’impression qu’il va s’endormir tout seul sur ses répétitions et/ou se tordre la tronche à jamais. Il ralentit, étire à loisir. Ça pourrait être agaçant mais c’est une relecture très personnelle et donc très bien.
Puisqu’on est dans l’amour, il enchaîne avec « Girl Called Alex » (Sur l’album « Wakin On A Pretty Daze » mais on peut en douter tant on entend plus « Alice » qu’ »Alex »), boogie (boulga ?) ralenti de fin de soirée, bien charbonneux à la cendre de cannabis sativa.
Autre bon moment, « Wild Imagination », avec sa batterie électronique (d’ailleurs moins bien vu le retour de la vraie batterie un peu plus tard…) et un Kurt plus marmonnant que jamais, où quand le can’t ya ? devient (à peine) kntyu ?. Mais enfin (m’enfin ?) on est venu aussi pour cette dégaine vocale débraillée. Et on est servi.
Evidemment pour le rappel, « Pretty Pimpin’ », bien rock, plus cracra que feutré avec des Violators bien droits dans leurs bottes bayou (des baskets avachies vous l’avez compris).
« Ya ‘v been ay marvelous audience. Luv ya ».
Ouais, toi aussi, poto.
22h28 (strict curfew), lumières rallumées fissa et un public qui file à l’anglaise comme un boulet de canon (jamais vu ça). Bien leur en a pris, c’était un canal d’engorgement (d’étranglement ?) dans le colimaçon, hyper angoissant et on n’en menait (tous) pas large.
Saloperie de Bern’s…