Le Brestois Joseph Bertrand exilé à Paris revient , après un « best of » édité en 2015 et un premier EP en 2016, avec enfin un véritable album, ce « Rêvons Plus Sombre » édité chez l’excellente Eglise de la petite folie.
Dans un monde idéal, la régression serait de mise, la dérive une ligne de conduite, la créativité inscrite dans la constitution, des droits et aucun devoir. Mais le monde idéal a beau dos, celui dans lequel on vit, on n’a pas d’autre choix que de faire avec ou de se mettre hors les choses. Joseph Bertrand et son projet Centredumonde est dans un entredeux, faisant à sa guise au milieu du conformisme et de la tiédeur. On est quelques uns à se rappeler son « Bang ! Introduction à Centredumonde », ces comptines perturbées, mi-ironiques, mi-grimaçantes. A Brest mêm’ comme on dit chez moi, il faisait et fait de figure ultra-underground genre « Tu sais … C’est le mec qui écrivait des trucs bizarroïdes dans les années 90… Je sais pas trop ce qu’il devient… ».
Ce retour déjà entamé en 2015, on le doit à Arnaud et sa femme Maelle Le Gouëfflec, patron et « taulière » de l’Église de la petite folie, ce chouette label brestois, véritable vivier d’artistes passionnants. Arnaud n’avait pas oublié la musique de Joseph et c’est à force de persévérance, de bons conseils et de petits mots rassurants qu’il a su ramener le musicien à la vie, au Centredumonde.
C’est un Joseph Bertrand apaisé, moins Lo-Fi que l’on découvre le long de ces titres.On retrouve « Rêvons plus sombre » déjà présent sur l’Ep de 2016 et c’est avec « Sous un nuage noir » que l’on peut voir ce qu’est Centredumonde en 2017. Peu de fioritures ici, le ton employé est celui de la frontalité. On pensera parfois au Dominique A de « La Musique La Matière » pour cette même sècheresse métallique comme sur « Si tu appartiens à la nuit ». Ce qui ne change pas chez Joseph Bertrand, et c’est tant mieux, c’est cette poésie du trivial, du quotidien, du crasseux.
« Constellations » évoquera dans son urgence les travaux les plus récents d’Arnaud Michniak. Dans une des vidéos que vous pourrez trouver sans difficulté sur le Net pour décoder « Sciences Politiques« , le nouveau disque de Mendelson, Pascal Bouaziz parle bien mieux que je ne le ferai ici de ce rapport à l’ironie que nous ne savons pas employer dans la chanson française. Cet album de Joseph Bertrand est un bien beau démenti car à la différence de son copain de label Garden with Lips qui cherche à triturer la forme pour créer un nouveau lexique musical, le brestois s’intéresse à un vocabulaire inédit, une autre manière de dire. Prenez « Copenhague » et sa poésie distante qui saisit dès la première écoute.
Car il ne faudrait pas percevoir l’ironie d’un Bouaziz comme quelque chose de moins sérieux, qui ne mériterait pas la même attention. On peut balancer des chansons à boire, des hymnes de marins en rade, des fins de cuites comme avec « Sinistre Finistère » sans oublier de malaxer un mal-être au bord des lèvres. Il chante les fêtes sans joie, les seppuku lents, l’alcool pour assumer la « Danse Morose ».
Joseph Bertrand glisse régulièrement quelques saillies ironico-comiques comme cette « Femme de militaire » un peu cruel et puis il y a « The Chappaquiddick incident » en clotûre comme l’obscurité épaisse qui vient tout emplir, un rêve bien trop sombre.
Joseph Bertrand, avec ce disque assume la régression d’un adulte qui ne sait trop où il est ni où il va mais la seule certitude, c’est qu’il y est allé et est revenu avec un grand grand album !!!