Il y a longtemps eu deux malentendus, dans la manière dont la critique musicale a abordé le rap, en France : elle a souvent cru que les paroles en étaient l’élément central, et leur a donc enjoint d’avoir un sens, de porter un message ou, a minima, de faire preuve d’une grande qualité d’écriture ; ne comprenant pas que les raps eux-mêmes sont musique, elle a aussi attendu des beats rêches qui l’accompagnent qu’ils prennent plus d’ampleur, de profondeur, qu’ils soient de vraies compositions. Aussi avons-nous fréquemment entendu des gens dire qu’ils n’aimaient le rap que quand il avait une teneur poétique, quand il s’inscrivait dans la tradition de François Villon, de Georges Brassens, voire de Renaud ; ou bien désirer ardemment qu’il s’acoquine avec les musiques électroniques, house et techno, qui elles, sont conçues pour se passer de paroles. Dans tous les cas, chaque fois que quelqu’un avance l’un ou l’autre de ces arguments, il faut fuir : il montre ainsi qu’il n’a pas su approcher le rap dans les termes qui lui sont propres.
Cependant, il y a Arm. Et depuis ses débuts avec Psykick Lyrikah et ce classique qu’est Des Lumières sous la Pluie, ce rappeur a su donner non seulement corps, mais également raison, à tous ces fantasmes typiques de l’approche franco-française du rap. Ses textes sont élaborés. Ils veulent dire, ils veulent signifier, à la manière d’un livre, à tel point qu’ils sont souvent déclamés de manière monotone, les paroles primant sur le phrasé. Par ailleurs, il a fini par s’acoquiner avec un vrai compositeur, Olivier Mellano, un musicien habitué à travailler autant pour le rock français (Miossec, Dominique A, etc.) que pour des orchestres symphoniques, et dont la contribution ne se limitait donc pas à placer une boucle ou une ritournelle au synthé sur les paroles d’Arm. Depuis longtemps, ce dernier pratique un hip-hop à fronts renversés, où les instruments sont le corps et les raps l’ornement, et non le contraire, comme il se doit. Mais avec lui, ça marche.
Son projet le plus récent, Psaume, en est encore la preuve. Il incarne ce vieux rêve caressé par certains, d’une retrouvaille entre le rap et les musiques électroniques, puisqu’il est une rencontre avec Tanguy Destable, alias Tepr, un homme qui est progressivement passé d’un registre downtempo à un autre, plus house, en passant par des productions grand public pour la chanteuse Yelle. Mais ce qui marque, avec ce disque, c’est que cette association va au-delà du concept, qu’elle n’est pas qu’une alliance pleine de bonne volonté entre deux univers qui ne parlent pas le même langage. Les deux artistes, en effet, sont issus de la même scène bretonne. Et quand Tepr faisait partie des très estimables Abstrackt Keal Agram, il y a plus de dix ans, il collaborait déjà avec Psykick Lyrikah. Entre les deux, donc, ça colle, ça s’entend, tout autant que dans les meilleurs duos hip-hop.
Conforme au titre de l’album, Arm psalmodie. Il tance, il admoneste, il prodigue des conseils sur la vie. Il se pose en sage et en protecteur vis-à-vis de son fils sur « Sur le Ciel ». Et pour souligner le propos, Tepr le fait bénéficier de son bagage dans les musiques électroniques en lui offrant des sons oppressants, ou d’autres, au contraire, élégiaque et spacieux, au diapason des grandes orgues qui ornent la pochette, ou bien encore quelques bizarreries comme le sample indianisant de « Rallumez-Les ». Si ces compositions viennent d’un univers éloigné du hip-hop, par exemple celle, gracieuse, du conclusif « Chaque Soir », Arm et Tepr y intègrent néanmoins des éléments issus du rap contemporain, celui de l’après trap music, comme le montrent le son de « Tu sais » et les passages où Arm accepte de déformer sa voix, au Vocoder ou à l’Auto-Tune. Ils apportent ainsi un supplément de modernité et d’américanité à un album qui, pour le reste, est la traduction exceptionnellement accomplie d’un rap intrinsèquement et purement français.