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Interviews

Steve Gunn – Interview

Récemment signé chez Matador, Steve Gunn sort entre deux collaborations son septième album solo, “Eyes On The Line”. Plus électrique et plus mélodique que ses précédents, il devrait marquer une nouvelle étape dans la carrière de ce proche de Kurt Vile. C’est un musicien passionné et passionnant que nous avons rencontré dans les locaux de sa maison de disque pour percer le mystère de ce changement réussi de direction.

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Plus jeune tu écoutais beaucoup de punk et de hardcore. Comment es tu venu à jouer une musique beaucoup plus acoustique avec des références éloignées de cette scène ?

J’ai commencé à me lasser de n’écouter et de jouer que ces styles de musiques. J’en écoute encore aujourd’hui, mais j’ai plutôt cherché à évoluer en tant que guitariste en m’intéressant à d’autres styles. Je me suis ouvert encore plus en arrivant à l’université de Philadelphie où il y avait une radio qui ne passait que du jazz. Mais pas seulement. J’y ai rencontré des gens avec des collections de disques incroyables, fréquenté des disquaires pointus. Mes discussions avec les professeurs m’ont beaucoup apporté également. Je suis depuis très ouvert en terme de musique, ma curiosité n’a pas de limite. Même si un disque n’a aucun sens pour moi à la première écoute, je le décortique et j’essaie de comprendre les intentions et la technique des personnes qui l’ont enregistré.

Tu as réalisé six albums en collaboration avec d’autres artistes (Kurt Vile, Mike Cooper, The Black Twig Pickers etc). Parfois ces disques sont expérimentaux ou s’inspirent de musiques traditionnelles. Est ce un moyen d’assouvir cette soif de découverte ?

Oui échanger librement et expérimenter avec d’autres artistes est pour moi le meilleur moyen de découvrir d’autres techniques et d’autres pistes de travail. Je ne serais pas le même musicien aujourd’hui sans avoir travaillé sur ces albums.

Tes collaborations ne se font pas que sur disque, tu tournes aussi beaucoup avec d’autres artistes. Ta carrière solo t’aide t-elle à garder une certaine indépendance dans la concrétisation de tes idées plutôt que de devoir faire parfois des concessions avec les autres ?

J’apprécie parfois me retrouver seul effectivement. Ça m’aide à prendre du recul et à trouver les bonnes perspectives. C’est un bon moyen pour me bousculer et poser les bases de mes chansons de la manière la plus simple possible.  

Les titres de ton album précédent, “Way Out Weather” t’étaient venus très rapidement. Qu’en est-il pour ceux de “Eyes On The Lines” ?

Oui, cette fois encore. Je passe beaucoup de temps à penser à mes chansons, à leurs thèmes. Je prends des notes dans un carnet, j’associe des mots. Dès que j’ai un moment de libre, je n’ai besoin que de quelques semaines pour mettre de l’ordre dans toutes ces idées et les assembler pour qu’elles se transforment en chansons. J’enregistre alors des démos que je fais écouter au reste du groupe. Chacun est libre d’apporter ses idées et de donner son avis en studio. La spontanéité des uns et des autres donne parfois des résultats intéressants.

A contrario, tu affirmais par le passé consacrer beaucoup de temps à l’écriture de tes chansons. Essaies tu de te détacher de ce mode de fonctionnement ?

Dorénavant, je simplifie tout pour donner plus d’impact à mes titres. J’avais tendance à trop analyser le processus créatif et son impact sur le résultat final. Par exemple, je cherchais tout le temps à composer les lignes de guitare les plus compliquées qui soient pour me prouver que j’étais capable d’y arriver. En live, il était presque impossible de se concentrer sur le chant dans ces conditions. Pour “Eyes On The Lines”, j’ai fonctionné pour la première fois en terme d’album et non pas de compilation de chansons. La structure des chansons est plus simple, plus concise, avec plus d’harmonies. C’est vraiment quelque chose de nouveau pour moi.

Cela s’entend, l’album a un côté plus catchy que tout ce que tu as sorti jusque là.

C’est aussi parce que je voulais apporter une touche optimiste au disque.  

“Way Out Weather” marquait une rupture par rapport à tes albums précédents. Il était plus axé sur l’acoustique et l’électrique. “Eyes On The Lines”, à part son dernier titre marque plus une dominante électrique. Comment l’envie d’imposer encore plus la guitare t’est-elle venue ?

L’électrique a commencé à prendre le dessus sur l’acoustique lors de la tournée précédente. C’est en formation électrique que nous prenions le plus de plaisir sur scène. J’ai enregistré l’album avec les musiciens qui m’accompagnaient en live, on peut donc affirmer que cette évolution s’est faite naturellement. Je ne renie absolument pas la guitare acoustique, c’est juste qu’en ce moment la guitare électrique correspond plus à mes envies.

Avais-tu des références en tête avant d’entrer en studio ?

Oui car j’ai vraiment réfléchi en terme de songwriting et de production pour “Eyes On The Line”. Avec les membres du groupe nous passons notre temps à éplucher les notes de pochettes, à parler du son de nos albums préférés, des vieux studios, de techniques d’enregistrement etc. Tous les musiciens du groupe ont de l’expérience en studio. Nous avons même enregistré l’album dans celui de l’un des membres. Nous étions, au moment de l’enregistrement, tous obsédés par le travail du producteur et ingénieur du son britannique Glyn Jones. Il a produit les Stones, mais également l’un de mes groupes préférés, les Pretty Things. Il avait une approche très simple à l’époque : “Si ça sonne bien, ne rajoute rien, pas besoin d’essayer un autre micro ou de rajouter des overdubs”. Il y a un côté très instinctif qui me séduit dans ce mode de fonctionnement, nous l’avons donc adopté. L’autre source d’inspiration vient des Beach Boys. J’avais jusque là surtout écouté Pet Sounds, sans réaliser à quel point les cinq ou six albums qui ont suivi sont des chefs d’œuvre en termes de production. Mais pas seulement, car les paroles sont également de haut niveau : étranges, tristes, joueuses, heureuses etc. Enfin, d’autres petites touches viennent d’albums plus obscurs que nous nous faisions découvrir les uns les autres lors de soirées où chacun apportait ses trésors cachés pour les faire écouter aux autres.

Pourrais-tu nous citer un exemple d’un disque qui t’a marqué lors de ces séances d’écoute ?

Ma plus belle découverte a été un chanteur nommé Dion qui a travaillé avec Phil Spector. L’histoire derrière cet album est géniale. Ils se sont brouillés tous les deux pendant des années. Lorsque cet album a été enregistré, Dion était au creux de sa carrière. Il était devenu dépressif, drogué, obsédé par la religion. Pour je ne sais quelle raison, il a accepté de travailler avec Spector à nouveau mais l’enregistrement s’est très mal passé et Spector a gardé le disque en otage avant de n’en sortir que quelques exemplaires plusieurs années après. Pendant très longtemps ce disque était très recherché par les collectionneurs. Il est devenu tellement culte qu’il a été réédité. C’est un album sublime que nous avons passé des heures à décortiquer avec les membres du groupe.

L’album a t-il été enregistré dans les conditions du live ?

Oui. Je parlais de spontanéité tout à l’heure. Elle n’est possible que lorsque tu joues live. Nous n’aimons pas revenir en arrière pour tout analyser ni mélanger des prises. La section rythmique, les guitares ont été enregistrées live. Nous y avons ajouté des détails par la suite, mais rien qui ne bouleverse les morceaux car nous voulions que les auditeurs sentent cette sensation d’unité du groupe.

Les parties vocales ont pris plus d’importance les années passant. Est-ce pour rendre justice à tes textes ou bien parce tu considères maintenant ta voix comme un instrument ?

La combinaison des deux. J’ai travaillé dur pour avoir plus confiance en ma voix. J’ai également pris un peu de coffre à force de tourner sans cesse au cours de ces deux dernières années. Je travaille également beaucoup mes textes. J’attache une importance toute particulière au phrasé et aux sonorités des mots. Leur son à parfois plus d’importance pour moi que leur signification. J’aime le côté abstrait d’une association étrange. Travailler en mode d’écriture libre m’aide souvent à arriver à ce type de résultat. Certains artistes ont une méthode particulière. Ils chantent un charabia sur leurs maquettes avant de revenir dessus et d’ajouter des mots qui collent aux sonorités initiales.

Quel est ton mode d’écriture ? As tu besoin d’être au calme à la maison ou bien écris tu sur la route lors des tournées ?

Je compose sur la route, mais ce ne sont que des ébauches car les moments où je me retrouve seul sont rares. J’ai besoin d’un environnement plus calme pour finaliser les chansons. J’ai un studio à la maison et je bloque souvent des périodes de plusieurs jours pour me mettre plus sérieusement au travail, entouré de tous les instruments. Je compare souvent ça au montage d’un film. Tu as toutes ces images en tête, et il faut tailler, réorganiser pour que l’histoire prenne du sens. Je passe parfois huit heures à travailler sur un son pour que le morceau gagne en cohérence. Dans ces conditions, il est préférable d’être seul (rire).

Il y a souvent des références à la nature dans les titres des chansons de l’album. Commencerais-tu à saturer de ta vie à New York ?

Vivre dans une aussi grande ville te donne forcément envie par moment de t’échapper dans la nature. Mais je passe également des heures à regarder par la fenêtre du van lorsque je suis en tournée. J’observe et je détaille tous les paysages. C’est une sorte de méditation pour moi qui me permet de m’éloigner de mes pensées en leur apportant un cadre visuel.

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Pourrais-tu nous en dire plus sur cette énorme boule qui figure sur la pochette et que l’on retrouve également dans la vidéo de “Conditions Wild” ?

Le studio dans lequel nous avons enregistré l’album est proche de la campagne. J’ai profité d’une pause pour aller me balader dans un champ et je suis tombé sur cette sorte de boule qui est vraiment énorme en réalité. J’ai vraiment été surpris car je ne m’attendais pas à trouver ce gros bloc de béton perdu en pleine nature. On aurait dit qu’il avait été déposé par des extra terrestres. J’en ai pris une photo et, pris par l’enregistrement du disque, je n’y ai plus repensé. C’est au moment de la recherche d’idées pour la pochette d’”Eyes On The Line” que je me suis souvenu de ce moment. J’aime illustrer mes disques par des photos intrigantes qui permettent à chacun d’apporter sa propre interprétation sans qu’il y ait forcément de réponse spécifique. Pour moi cette photo rentre dans ce cadre. Il est impossible de savoir à quoi sert cette boule. Elle apporte aussi un côté symbolique.

Tu as récemment publié une playlist sur Spotify (cf plus haut), avec des titres de tes chanteuses préférées. On y retrouve un titre de Brigitte Fontaine, “Le Brouillard”. Comment as tu découvert cette artiste et qu’est ce qui te séduit autant chez elle ?

Ce titre est extrait de “Comme à La Radio”, un disque qu’elle a enregistré avec le Art Ensemble Of Chicago. C’est d’ailleurs en cherchant des informations sur ce groupe dont je suis très fan que j’ai découvert l’existence de cette collaboration. Je connaissais déjà ses disques enregistrés avec Areski grâce à ces fameuses séances d’écoute avec les membres du groupe. Je ne me souviens plus de quel album il s’agissait mais je suis immédiatement devenu accro. La structure du titre qui passait était très simple, avec des rythmes basiques et leurs voix s’entremêlaient de façon étrange. Suite à cette soirée, j’ai acheté de vieux enregistrements d’elle que j’ai usé jusqu’à la corde. J’aime particulièrement “Le Brouillard” pour ses influences Jazz et ses paroles intenses et radicales.

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