Alors voilà, ça y est. Le Monde Chico est sorti, le 30 octobre. Et comme prévu, le phénomène qui accompagne PNL depuis quelques mois a franchi encore un palier supplémentaire. En propulsant ce disque en tête des ventes sur iTunes, le duo des Tarterêts a capté l’attention de grands journaux généralistes, L’Obs, Libération, Le Monde, comme il l’a fait plus tôt avec d’autres médias, certes plus spécialisés, mais pas versés outre mesure dans le rap français, comme Les Inrocks ou, hum, Fake For Real. En parallèle, PNL et leurs proches ont su poursuivre leur approche promotionnelle fondée sur un contrôle rigoureux de leur image, refusant les offres des majors du disque pour sortir leur musique en indé, usant malicieusement d’une vidéo en Islande, d’un concert dans un lieu select de Paris et de l’apparition d’un singe en lieu et place des rappeurs, pour leur première émission sur Skyrock. A tel point que cette intelligence marketing a fini par soulever la suspicion sur le caractère spontané du duo, et à alimenter d’intéressantes théories complotistes.
Mais dépouillons-nous un instant de tout ce ramdam autour de PNL, et portons-nous sur l’essentiel : l’album de rap français le plus attendu depuis des lustres. La constatation qui s’impose, en fait, c’est qu’il ne surprend pas. Ademo et Nos, semble-t-il, ont voulu se focaliser ici sur les caractéristiques qui ont été les plus commentées avec le buzz autour de leur précédent album, QLF : le thème du trafic de drogue, qu’ils exploitent avec force détails et argot sur un mode réaliste, tout sauf romancisé ; leur discours de dealers fatalistes et dépressifs, avec des titres comme le central « Porte de Mesrine », une allusion aux relents suicidaires à la mort par balles de Jacques Mesrine, figure mythique du gangstérisme à la française ; des raps qui reposent davantage sur leur contenu émotionnel larvé, souligné souvent par un usage maîtrisé de l‘autotune, que sur l’aisance verbale et l’attention portée aux textes ; une volonté de se rendre imperméable aux sentiments, car ceux-ci font bien trop mal ; des références culturelles puisées dans les dessins animés de leur enfance, ceux de Disney, avec la figure récurrente de Mowgli, ou Dragon Ball Z, le personnage Dende se substituant cette fois à Vegeta.
C’est toujours le même registre, les mêmes traits, mais de manière plus accentuée encore. Le Monde Chico, en effet, est plus homogène que QLF, il se concentre encore plus sur les spécificités du duo. Certain ont pu s’en plaindre, regrettant un manque de variété, aggravé par la longueur du disque, 70 minutes tout de même. Mais la réalité, c’est que cette seconde sortie est ce qu’elle était censée être : un véritable album, bien davantage que la première. Par exemple, elle intègre de manière plus organique ces onomatopées inspirées de la drill music de Chicago, qui viraient au tic sur le disque précédent. Elle a aussi une coloration musicale plus marquée, celle du cloud rap, tous les morceaux ou presque étant accompagnés de nappes atmosphériques lancinantes, en contraste avec les paroles les plus dures des deux frères, mais en accord avec leur détresse affective et leurs désillusions.
Ademo et Nos explorent plus avant leur mal-être, en ne cessant d’invoquer, dans leurs vidéos comme dans leurs paroles, ces échappatoires que sont les lieux idéalisés de leur mythologie personnelle : le quartier mafieux de la Scampia à Naples, avec « Le Monde ou Rien » ; cet autre haut-lieu de la criminalité qu’est Mexico, avec l’excellent titre du même nom ; le bord de la plage avec « J’suis PNL » ; ou bien la planète Namek, représentée par les paysages islandais du clip de « Oh Lala ». Derrière ces évocations, perce encore le désespoir de Mowgli, les désillusions de l’enfant précipité dans les réalités d’une vie dure, sans perspective, très bien abordées dans « Plus Tony que Sosa », quand Ademo résume en quelques mots la vie de jeunes passés très vite des Télétubbies au 36, quai des Orfèvres.
S’il faut encore chercher à comprendre pourquoi PNL a su séduire bien au-delà du public habituel du rap français, malgré son fort enracinement dans l’univers des cités, c’est ici, c’est dans cette mélancolie profonde qui parle aux mélomanes, à ceux pour lesquels le cadre, l’arrière-plan et les conditions de naissance d’une musique comptent peu. Une autre raison, c’est que le rap des deux frères, joint à leurs instrus éthérées, et aussi peu virtuose soit-il, est mélodique. Il est aussi plus musical que celui de vigueur à l’ordinaire en notre pays. Il pourrait plaire au-delà de nos frontières, hors du contexte bien établi du rap français. Même chose de l’interprétation des deux frères, qui fait plus que suppléer aux carences supposées de leurs textes. Ecoutez-les donc déclamer « abonnés » avec la gorge qui gratte, ou Ademo sublimer une phrase d’apparence aussi simple que « la nuit porte conseil, ah nan, pas du tout. La nuit, nique sa mère ! ». Ces deux là vous donnent des frissons.
Et ils le font presque tout au long de ce Monde Chico. La première suite de titres, celle qui s’étend jusqu’aux sommets que sont « Mexico » et « Porte de Mesrine », n’est pas loin d’être absolument irréprochable. Et après, même si à partir de « Laisse », et quand le duo consent à inviter quelques potes, les morceaux s’avèrent moins mémorables, ça ne retombe pas tout à fait. Il y a aussi quelques grands moments, comme « Plus Tony que Sosa ». Et puis cette conclusion, « Dans la Soucoupe », où les deux frères nous parlent de leur emprisonnement dans le trafic de drogue, et nous confient sans y croire leur désir fatalement déçu d’évasion, fin poignante d’un album qui est bien plus que le dernier phénomène du rap français : son miracle.