Un peu plus d’an après « Toboggan » qui nous avait particulièrement séduit, Murat récidive et d’un double qui plus est. Rapidement, « Babel » s’installe et déroule des histoires aux odeurs de sous-bois.
Haie de ronces, limaces tigrées, ponts encaissés, frelons asiatiques perdus sur des terres brunes, Murat nous entraîne dans un monde bucolique et dangereux, celui de la montagne comme souvent. Au son bluesy d’un banjo trépident, la voix nasillarde, épaisse et toujours aussi séductrice de Murat introduit « Babel » avec « Chacun vendrait des grives ». Ode au monde rural, à la science du cadastre, à la géographie humaine chuchoté par un chœur qu’on croirait constitué de femmes puis de vieux goguenards. Le Delano Orchestra saupoudre avec parcimonie ses apports subtils de cuivres et de cordes autour des mots maniérés de Murat. « Babel » prend son envol et part dans tous les sens, surprend, déstabilise.
Rythmes éthiopiques à la façon d’un Mammoud Ahmed sur « Chant Soviet » accompagné par Oren Bloedow d’Elysian Fields, semblant de fables moyenâgeuses ou hymne hédoniste baigné de luxure dans une langue auguste sur « J’ai fréquenté la beauté », rythm’n blues endiablé sur « Blues du cygne », Murat espiègle nous donne à voir un monde peuplé d’amochés, liés par le sang, la forêt.
Les chansons fleuves du disque telle que « Dans la direction du Crest » parviennent en un tour de main à nous captiver et à nous rendre compte aussi de la grande proximité avec l’œuvre de Bruno Dumont ou du fameux tryptique Millet, Bergougnioux, Michon : une obsession pour la terre, la chair, la filiation : du sang sur du fumier, des humeurs sur du gravier…
Les mots rapiécés de Murat s’enroulent tel un lierre dru dans les limbes de l’étrange, sonne le clairon d’une chanson claire-obscure. Epopée érotico-fantastique lynchienne sur les terres du Mont-Dore, « Mujabe Ribe », pure réussite, nous emmène très loin sur ses terres hostiles, tout comme « Vallée des merveilles », ballade enchantée reprenant le mythe de Romus et Romulus où il est question d’Amba Tigre, d’éléphant, de tétine et d’essence divine et d’un petit cochon de nuit, toutes interprétations, toutes voiles dehors…
Le deuxième disque n’a rien d’un fond de tiroir. Il balaye encore un peu plus sa marotte : l’enfance à la campagne, les obsessions et mimiques des anciens, de beaux profils paysans qui on l’imagine ont été inspirés par des histoires qu’on se transmet au café du coin de génération en génération et qui au fil du temps se bonnifient pour devenir de petites mythologies endémiques : la noyée du village, le suicidé du bois, la fille facile alors que « Camping à la ferme » parenthèse de ce double album nous fait apercevoir papy Murat entouré de bambins chantant à tue-tête en direction de Vulcania. On ressort de « Babel » un peu étourdi par tant de beauté et assez impressionné par cette écriture qui paraît inépuisable surtout lorsqu’il nous sert un album de cette trempe quasiment tous les ans. Paraîtrait qu’il possède encore des malles entières de chansons, d’histoires tarabiscotées bourrées de personnages. Une vraie Bourboule dans sa tête ce Murat.