C’est devenu l’un de nos rendez-vous musicaux préférés de l’automne. Le BBmix (BB pour Boulogne-Billancourt où il a lieu) est un festival à taille humaine, avec des places à prix plancher, des conditions d’écoute excellentes et une ambiance toujours conviviale et détendue. Ici, tous les genres ont droit de cité, et les programmateurs font jouer avant tout des artistes qu’ils aiment (avec une prédilection pour les formations culte, de Silver Apples à Spain, de Swans au Monochrome Set), en faisant le pari d’élargir leur public. D’où notre idée de choisir un artiste par soirée et de demander à Pascal Bouaziz (que nous avions déjà interviewé l’année dernière à propos du festival), Marie-Pierre Bonniol et Jean-Sébastien “Jiess” Nicolet de nous en parler.
Jeudi 21 novembre (Les Olivensteins / Magnetix / Michel Cloup Duo)
Les Olivensteins
Par Pascal Bouaziz
« La première personne qui m’ait jamais parlé des Olivensteins, c’était Vincent Chauvier, le patron de feu le label Lithium, qui avait “découvert” Dominique A., Diabologum… On était en 1995, soit une quinzaine d’années après le dernier concert des Olivensteins.
Quelqu’un dans la conversation avait dû dire quelque chose comme « le punk français, c’est de la merde, c’est pour les débiles et fait par des débiles », enfin quelque chose d’aussi sage, mesuré (et malheureusement vrai) que ça, et Vincent de sortir de derrière une pile écroulée de disques son exemplaire, l’un des très rares et très recherchés exemplaires du mythique 45-tours “Fier de ne rien faire/Euthanasie”.
Je dois dire que j’en suis resté complément ahuri. Quoi ? Des textes pareils ? Ce ton, cette noirceur copieusement arrosée d’humour corrosif, cette méchanceté hilarante ! Et en français ? Quoi, un chanteur pareil ? Cette morgue ! Cette insolence ! Cette jeunesse punk parfaite, magnifiquement dégoûtée, ultra-lucide, je-m’en-foutiste dans la joie, par nature, par nécessité, (et non pas par métier), ce chanteur d’une classe tout simplement jamais vue ni avant, ni après. (Le choc aussi. Ces gens ne voulaient pas être vos amis. Ils ne voulaient être amis avec personne. Et on ne voulait plus personne, nous autres, comme amis.) Et ce son, enfin ! Ces guitares, entre Stooges et 13th Floor Elevators…. Cette urgence ! Quoi, un vrai disque de punk en français qui ne mettait pas la honte à la France toute entière ! Au pays de Starshooter et de Johnny, en voilà une surprise.
Encore quinze ans plus tard, en 2011, Eric Tandy, le parolier même des Olivensteins et frère du chanteur, venu à BBmix faire une conférence sur la naissance du punk en France, nous parlait d’une sortie de l’album, le premier et seul album enregistré à l’époque et jamais paru. L’idée improbable d’un retour sur scène nous faisait alors doucement rêver.
Après la réinvention des Young Marble Giants, après les Raincoats, après le retour des Swans, celui des Olivensteins est donc devenu réalité. Ne restait qu’une question cruciale pour nous, à BBmix : comment les entourer ? Ils étaient seuls à l’époque, véritables ovnis, ils n’ont pas eu de descendance. Quelques-uns les ont repris. Les Thugs, oui, les Wampas… Dans le style, rien à voir, et puis ça ne fait pas une lignée. Non, pas grand monde décidément… Sauf tiens, peut-être, du côté de Diabologum par exemple. Et de Michel Cloup, donc. Cette même exigence, cette même originalité. En marge. Sans se forcer. Par nature. Par nécessité. Cette même exigence à courir loin des clichés. Ou tiens, du côté de la scène garage. Cette même fougue, cette même élégance dans le défouraillage et le foutraque. Allons y pour Magnetix : bonne idée ! »
Vendredi 22 novembre (Felix Kubin / Pierre Bastien / Orchestra of Spheres / Synorsk)
Pierre Bastien
Par Marie-Pierre Bonniol
« Pierre Bastien fait partie des artistes que nous écoutons et que nous suivons depuis longtemps, et qui représentent des ouvertures à des scènes musicales et artistiques parallèles. Sa musique articulée autour de mélodies simples et de rythmiques émises par des structures mécaniques, véritables “machines célibataires”, peut paraître très nostalgique, mais pour moi elle va bien au-delà de cela. Elle représente une véritable synthèse de plusieurs langages artistiques qui vont de Marcel Duchamp et ses expériences kinétiques à l’écriture sous contrainte de Raymond Queneau, de l’Oulipo et de Raymond Roussel dont les gestes, les signatures singulières permettent d’accéder à une autre lecture du réel. La musique et la poïétique de Pierre Bastien invitent, selon moi, à une expérience autant esthétique que philosophique, et chacune de ses performances m’en donne, à chaque fois, une nouvelle lecture. C’est un concert que j’attends avec impatience ! »
Samedi 23 novembre (Lee Ranaldo and the Dust / Magik Markers / Ela Orleans / Tazieff / Fiasco)
Lee Ranaldo and the Dust
Par Jiess
« Accueillir Lee Ranaldo et son Dust Band est pour le BBmix une véritable joie et un honneur. Au-delà de l’histoire récemment échue de Sonic Youth, groupe qui nous a tous bercés depuis ses débuts en 1981, sa venue a pourtant fait débat, en raison peut-être de la trop grande évidence, pour nous programmateurs, de proposer une telle personnalité dans le cadre du festival. Si l’histoire même de Sonic Youth fait en quelque sorte la synthèse absolue de ce qui motive le BBmix – dresser des ponts entre les esthétiques, faire le lien entre une musique exigeante, savante, et une indie pop aux mélodies imparables –, la discussion (un peu bégueule, je le reconnais) portait ici sur Lee Ranaldo en tant qu’artiste, son identité propre, sa démarche qui, en fin de compte, continue de nous faire frémir.
Ses influences sont nombreuses, et parfois méconnues : les groupes psychédéliques des 60’s (comme le Grateful Dead ou Jefferson Airplane), la new wave et le punk new-yorkais (Television, Talking Heads…), la no wave et les musiques d’ensemble avant-gardistes de Glenn Branca ou Rhys Chatham (qui fut d’ailleurs le berceau de Sonic Youth). Producteur effréné (Babes in Toyland ou Deity Guns, par exemple), défricheur permanent (chercheur de textures sonores avec des artistes d’avant-garde comme William Hooker, Christian Marclay, Alan Licht ou Jim O’Rourke ; compositeur de l’immédiat ; bidouilleur d’instruments ; interprète de textes mi-chantés, mi-parlés…) il est pour beaucoup dans la longévité artistique de Sonic Youth. Finalment, la vérité d’un artiste passant aussi par le live, la venue de Lee Ranaldo est bizarrement une forme de pari pour nous sur cette édition. »
Dimanche 24 novembre (OM / Follakzoid / Conférence Catherine Guesde)
Om
Par Jiess
« Chaque année, le BBmix relève le défi de proposer la crème des musiques soniques, “dronesques” et aventureuses. Par le passé, le festival a ainsi ouvert la brèche d’une programmation dominicale assourdissante et/ou hypnotique avec Swans, Bardo Pond ou Beak>, et depuis, notre mâchoire n’arrive pas à se raccrocher!
OM est arrivé un peu par hasard sur le terrain des discussions entre programmateurs, mais a tout de suite résonné comme une évidence artistique tant le projet est rare sur scène, et l’intensité de leur proposition ne fait aucun doute. Le trio (Al Cisneros, Emil Amos, Robert Aiki Aubrey Lowe) a déjà de nombreux miles dans les guiboles, avec des expériences de groupes devenus mythiques sur la scène “drone doom metal”, et plus (Sleep, Grails, Jandek – aperçu chez notre cousin Villette Sonique cette année –, Lichens, Shrinebuilder ou 90 Day Men). Il me semble aussi que OM offre une parfaite synthèse des sonorités psychédéliques qui connaissent actuellement un nouvel âge d’or. Un pied dans l’histoire du genre (constructions labyrinthiques avec une base de mantras hindous, de percussions invitant à la transe, de psychédélisme orientaliste), des filiations musicales que nous apprécions (Current 93, Six Organs of Admittance, Earth, Black Sabbath ou Melvins..) et une créativité préservée, en dehors des clichés. Bref, un dimanche en clôture de festival avec pour perspective du headbanging engourdi dans le cadre confortable du théâtre du Carré Bellefeuille.
Nous avons aussi conçu cette programmation de OM dans le cadre d’une thématique sur le drone qui sera éclairée en apéro par la conférence de Catherine Guesde et une mise en condition sonore par mes chouchous chiliens Follakzoid Sacred Bones (chez Differ-ant). Bref, on sera heureux comme des papes ! »