Légende du rock underground américain, précurseur de la lo-fi, Jad Fair s’est surtout consacré ces dernières années à son œuvre graphique, essentiellement des papiers découpés façon ribambelles. Il n’a pas pour autant abandonné la musique : en mai dernier, on le retrouvait ainsi au festival Villette Sonique à la tête de son mythique groupe Half Japanese, partageant l’affiche de la soirée avec Glenn Branca et Thurston Moore. Quelques heures avant le concert, ce quinquagénaire affable et placide répondait à quelques questions entre deux frites et deux bouchées de steak.
Quelle était votre ambition quand ton frère David et toi avez commencé Half Japanese en 1974, à Ann Harbor dans le Michigan ? Vous étiez très jeunes alors.
Oui, nous étions tous les deux au lycée. Pour nous, c’était juste un loisir, on s’amusait. On ne pensait absolument pas en faire un métier. Vu que nous habitions le Michigan, nous aimions bien les groupes de là-bas comme le MC5 et les Stooges, Question Mark and the Mysterians aussi. Captain Beefheart et le Velvet Underground ont été également importants. Comme eux, nous cherchions à faire une musique très « naturelle », notre approche était extrêmement spontanée.
As-tu l’impression que durant toutes ces années, tu as progressé comme chanteur, guitariste et compositeur ? Ou préfères-tu rester un peu amateur ?
Je pense que la plupart des musiciens ne s’améliorent pas avec le temps, en fait. Souvent, c’est même l’inverse : ils sont bons au début, puis ils déclinent, deviennent moins intéressants. Je suis fan des Rolling Stones, mais je ne trouve pas qu’ils aient vraiment progressé depuis leurs débuts. C’est un processus assez général chez les groupes de rock.
Il y a quand même une différence entre les premiers enregistrements de Half Japanese, très bruts et déstructurés, et ceux que tu as sortis dans les années 90, plus faciles d’accès.
Oh oui, bien sûr. Mais je pense que ça tient surtout aux musiciens de talent qui m’accompagnaient… (sourire) Moi, je n’ai pas beaucoup changé !
Tu as travaillé avec beaucoup de gens, dont Daniel Johnston, Teenage Fanclub, Moe Tucker, Yo La Tengo, Kramer… Qu’est-ce qui a motivé ces rencontres ?
Concernant Moe Tucker, comme je l’ai dit, j’ai toujours été un grand fan du Velvet Underground. Donc, ne serait-ce que faire sa connaissance, c’était un grand privilège pour moi. Jouer avec elle sur disque et sur scène, ça représentait vraiment beaucoup. J’ai eu la chance de travailler avec des gens qui font partie de mes musiciens favoris.
Rencontres-tu encore souvent des musiciens qui te disent que tu les as influencés ?
Oui, ça arrive. Je ne suis pas forcément très au fait de l’actualité musicale, mais je pense qu’il y a certains groupes d’aujourd’hui que nous avons pu inspirer, même si c’était sans doute davantage le cas dans les années 90.
Que penses-tu de la programmation de Villette Sonique ?
Je ne connais pas tout, mais il y a beaucoup de choses intéressantes. J’aurais aimé voir Animal Collective, malheureusement ils ont joué hier… Je suis content de retrouver Thurston Moore, c’est un ami et cela fait longtemps que nous ne nous sommes pas vus. Quand nous habitions tous deux New York, nous nous croisions souvent, mais maintenant plus tellement.
Thurston Moore et Glenn Branca, qui jouent à la même affiche que toi, ont des liens avec la musique d’avant-garde. Est-ce quelque chose dont tu te sens proche, où te considères-tu plutôt comme un simple musicien de rock ?
Comme je le disais, ma musique est très naturelle, simple. En tout cas, je la conçois comme telle, mais d’autres personnes peuvent la trouver avant-gardiste, ou étrange. Pour moi, elle est plutôt normale !
Et collaborer ponctuellement avec des gens comme Fred Frith ou John Zorn, qui viennent plutôt de la sphère des musiques improvisées, c’était aussi quelque chose de naturel ?
Oui, tout à fait. Je pense qu’ils étaient fans de Half Japanese, qu’ils se reconnaissaient dans ce qu’on faisait, sinon ils n’auraient pas choisi de jouer avec nous.
Fais-tu une distinction entre les disques (très nombreux dans les deux cas) sortis sous le nom de Half Japanese et tes œuvres solo ?
Je pense que mes disques solo sont plus étranges. Enfin, pour moi ils sont normaux… Disons que Half Japanese est plus proche d’un groupe de rock au sens traditionnel du terme.
La plupart de tes chansons sont assez courtes, mais tu as aussi sorti un morceau, « Heaven Sent », qui dure plus d’une heure…
Oui, nos morceaux sont souvent brefs, sans que ce soit particulièrement prémédité. Disons que je n’aime pas trop répéter la même chose, couplet-refrain-couplet, etc. Autant terminer la chanson avant si on a déjà tout dit. Mais effectivement, nous avons aussi enregistré ce titre qui dépasse les 60 minutes. Au départ, nous voulions même qu’il fasse 74 minutes, qui était la durée maximale d’un CD à l’époque. Mais nous étions en studio à Amsterdam, et là-bas, si tu ne remets pas de l’argent dans le parcmètre, ils posent tout de suite un sabot pour immobiliser ta voiture… Donc on surveillait l’horloge, et quand il a fallu retourner au parcmètre, nous avons arrêté (rires).
J’ai vu sur ton site web que tu composais et enregistrais des chansons à la demande, pour des particuliers, contre 300 $. On te sollicite beaucoup ?
Ça arrive. C’est surtout pour des anniversaires, parfois des mariages, des naissances. La requête la plus étrange que j’ai reçue, c’était pour une demande en mariage. Le futur époux voulait donc que je la chante moi-même ! Et si je me débrouillais mal, la personne à qui elle était adressée risquait de répondre « non » ! (rires) Mais heureusement, elle a dit « oui ».
Ce n’est pas difficile d’écrire sur un thème qu’on t’impose ?
J’essaie de m’adapter à la personnalité du commanditaire. Parfois, il ne me donne que des informations succinctes. Je commence alors à écrire la chanson, puis je demande à en connaître davantage sur la personne. Cela m’aide à écrire les paroles.
Tu as enregistré beaucoup de reprises, essentiellement de classiques des années 60-70, souvent très éloignées des versions d’origine. Mais tu as aussi fait une cover plus inattendue de « Movin’ on up » de Primal Scream. Comment choisis-tu les chansons ?
J’écoute beaucoup de musique, j’ai donc une palette assez large. Quand je reprends un morceau, une grande chanson, je n’essaie pas de reproduire l’original. Je préfère la jouer à ma façon. Concernant ce morceau de Primal Scream, je n’étais pas très familier de l’original. J’avais surtout entendu la version que le groupe Melody Dog, avec Katrina Mitchell des Pastels, en avait faite (elle figurait sur le 45t « Cassie » sorti en 1992, ndlr), et qui est plus proche de la mienne.
Comme Daniel Johnston, tu es aujourd’hui également connu pour ton œuvre graphique, essentiellement des papiers découpés.
C’est mon activité principale depuis une douzaine d’années. J’ai fait beaucoup d’expositions, j’en ai d’ailleurs une à Nice bientôt (c’était en juin dernier, ndlr) et j’ai dû publier quatorze livres. L’avantage de cette forme d’expression, c’est qu’elle me permet de travailler tranquillement à la maison. J’aime bien tourner, voyager, mais c’est dur d’être longtemps loin de chez soi et des siens.
Et quelles étaient tes influences dans ce domaine ? Les comics, les musées ?
Principalement ce que je voyais dans les musées. J’aime aussi beaucoup les cartoons de James Thurber (pince-sans-rire et absurdes, publiés notamment dans le « New Yorker », ndlr), Calder, Matisse. Et pour les comics, Gary Panter m’a beaucoup influencé.
Je suis allé dans une école d’art, mais je n’y suis pas resté très longtemps. Et en fait, j’étudiais surtout le cinéma. Cependant, je me suis vite aperçu que tourner des films coûtait cher, et je n’avais pas vraiment les moyens d’acheter une caméra et de la pellicule, de la faire développer… C’est pour ça que je m’en suis éloigné. Faire des découpages, c’est bien meilleur marché !
Tu es très prolifique : sur ton site, une soixantaine de disques sont en vente. Connais-tu des fans qui ont tous tes disques ?
J’étais à Tokyo il y a quelques années, et l’un d’eux m’a affirmé qu’il possédait tous mes albums. Je lui ai répondu que j’avais dû en sortir quelque chose comme cinquante-six et il m’a dit : « Oui, je sais, je les ai vraiment tous ! » (rires) Il y a quelques personnes comme ça, qui achètent tout ce que je sors.
Généralement, combien de temps mets-tu pour enregistrer un album ?
Ça coûte cher d’aller dans un studio, on doit donc aller vite. Pour Half Japanese, ça doit prendre quatre ou cinq jours, en tout cas moins d’une semaine. Puis on met deux ou trois jours pour mixer. J’aimerais avoir les moyens de passer un peu plus de temps sur chaque disque, mais je ne peux pas non plus me permettre de perdre de l’argent…
Comment élabores-tu tes setlists, vu les centaines de morceaux dont tu disposes ?
Pour cette tournée, comme nous n’avions pas trop de temps pour répéter et réapprendre d’anciennes chansons, j’ai demandé aux musiciens s’il y en avait qu’ils ne se sentaient pas de jouer. Il y en a donc quelques-unes que nous avons éliminées. Ce qui en laisse quand même pas mal : pour le concert précédent, nous avons dû en jouer vingt-six en cinquante minutes. Ça va être dur de faire mieux.
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