THE VASELINES – Enter The Vaselines
(Sub Pop / PIAS) [site] – acheter ce disque
1992 : en plein tourbillon Nirvana, dont le siphon crasseux emportait avec lui d’innombrables déchets grunge (Pearl Jam, Alice in Chains entre autres horreurs), Sub Pop publia "The Way of the Vaselines", une compilation de la courte et discrète carrière discographique d’un duo écossais. Dix neuf titres. Pas un de plus. Si, au milieu des années quatre-vingt dix, les Vaselines ont enfin eu droit aux honneurs, relatifs, de l’underground, leur histoire et leur particularité ont été complètement obstruées par un slogan fédérateur : ils ont influencé Kurt Cobain et Kris Novoselic. Mon Dieu ! La belle jambe… Les reprises par Nirvana de "Son of a Gun" et "Molly’s Lips" furent relativement fidèles, indéniablement entraînantes, mais ne parvinrent pas à rendre l’humour, la violence et la fraîcheur des chansons originelles, beaucoup plus naïvement interprétées et, surtout, infiniment plus ambivalentes. Pour ne rien arranger, "Jesus Wants Me For a Sunbeam" est éternellement associé au fameux MTV Unplugged, sorte de funérailles avant l’heure, durant lequel Cobain reprit la chanson des Vaselines note pour note, son coup de fusil y injectant ultérieurement un dégoulis de pathos qui ne rend pas réellement justice aux Vaselines. Enfin, peu importe.
"Enter the Vaselines" est un double CD proposant deux EP et l’unique LP du duo, remasterisé à Abbey Road, ainsi que des démos et des enregistrements live inédits. Comme Kelly et McKee l’ont incessamment répété au cours d’interviews, former un groupe n’était à la base qu’un moyen d’avoir leurs trognes sur une pochette et de s’amuser pendant leurs études, et nombreuses sont leurs chansons qui ne furent écrites que pour la rigolade par d’insolents gamins ne sachant pas vraiment que faire pour tuer le temps. Les titres de leur premier EP – "Rory Rides Me Raw", avec ce charmant duo chantant complètement off-key, et "You Think You’re a Man", à l’instrumentation disco d’un goût douteux et son texte aussi cruel que délirant – semblent leur donner raison.
Bon point donc : les Vaselines sont beaucoup moins sérieux et sophistiqués que leur réputation ne le fait penser. L’humour, certes assez spécial, est omniprésent dans "Dum Dum" et le groupe s’amuse sans arrêt à provoquer le chaland (enfin, seuls les lecteurs de Famille Chrétienne s’offusqueront, et encore…) à coups d’images chocs sonnant comme des slogans art-pop. Il n’y a qu’à prendre la particulièrement fameuse "Bitch" pour s’en convaincre : "I’m a real bitch, I am a switched witch / I’ll screw you around when you’re feeling down". C’est sans aucun doute cette vraie légereté pop qui ont fait de cette sortie quelque chose d’assez unique dans un paysage rock devenant définitivement de plus en plus austère. La plupart d’entre nous ont déjà probablement parodié certaines chansons de manière fort triviale, ou inventé des textes tendancieux, pour le simple plaisir de dire le plus d’idioties possibles en un seul refrain. Imaginez que vous enregistriez vos frasques en les accompagnant d’un phrasé catchy et d’une guitare au son terriblement crade, et vous obtiendrez quelque chose ressemblant probablement à l’exemplaire "Monsterpussy".
Devenu quator avec l’embauche de Charles Kelly et James Seenan, les Vaselines enregistrent un album, "Dum Dum", qui, à mon grand étonnement, s’est bonifié avec l’âge. Le partenariat Eugene-Frances fonctionne à fond tels des Moldy Peaches sous speed. Assez intelligents pour aller piocher chez Jesus & Mary Chain et le Velvet plutôt que chez les Smiths, déjà suffisamment copiés à l’époque, les Vaselines continuent de se désolidariser des autres formations de Glasgow feignant une innocence que cette génération n’a de toute façon jamais eu, comme le précise McRobbie dans le livret. Le quator s’enfonce joyeusement les doigts dans les prises, chante outrageusement faux, et ne semble en avoir absolument rien à faire. Comment ne pas adhérer ? C’est à la fois imbécile et jouissif, concis et incroyablement brouillon, délicieusement précaire comme une chanson des Pastels et presque aussi furieux qu’un single barbare des Shadows of Knight. "No Hope", "Oliver Twisted", "Lovecraft". Trois massacres exécutés dans les règles de l’art garage formant à eux seuls, avec "Psychocandy", un parfait vaccin contre le trop-plein d’austérité du shoegazing. Dire que certains à l’époque préfèraient écouter "Isn’t Anything" pour s’amuser…
Sinon, pas de surprise : "Enter the Vaselines" est bien l’édition définitive du groupe, notamment grâce à un cd bonus offrant des lives au son presque parfait et un livret anti-langue de bois dont on recommande la lecture.
Maintenant, dix-sept ans après la première sortie du seul LP du groupe à ce jour, cette édition deluxe donne une bonne excuse à une audience plus jeune, probablement plus vierge, de se plonger dans la musique des Vaselines. Leur voix – et non celle de Cobain – va désormais déterminer quelle place le duo mérite dans le panthéon du rock and roll.
Julian Flacelière
CD 1
Son of a Gun
Rory Rides Me Raw
You Think You’re a Man
Dying for It
Molly’s Lips
Teenage Superstars
Jesus Wants Me for a Sunbeam
Sex Sux (Amen)
Slushy
Monsterpussy
Bitch
No Hope
Oliver Twisted
The Day I Was a Horse
Dum Dum
Hairy
Lovecraft
Dying for It (The Blues)
Let’s Get Ugly
CD 2
Son of a Gun (demo)
Rosary Job (demo)
Red Poppy (demo)
Son of a Gun (live in Bristol)
Rosary Job (live in Bristol)
Red Poppy (live in Bristol)
Rory Rides Me Raw (live in Bristol)
You Think You’re a Man (live in Bristol)
Dying for It (live in London)
Monsterpussy (live in London)
Let’s Get Ugly (live in London)
Molly’s Lips (Live in London)
The Day I Was a Horse (live in London)
The Day I Was a Horse (Again – live in London)
Sex Sux (Amen) (live in London)
I Didn’t Know I Love You Until I Saw You Rock’n’Roll (live in London)
Teenage Superstars (live in London)