En tournée en France depuis la mi-octobre, le duo anglo-américain The Kills eut l’excellente idée de passer à Dijon, capitale du no-man’s land bourguignon, le 22 octobre dernier, et la gentillesse de nous accorder quelques minutes d’entretien. Autant sur scène Alison Mosshart (VV) est déchaînée, intenable, insolente, et Jamie « Hotel » Hince fort calme et concentré sur sa gratte, autant en coulisses les rôles semblent s’inverser : l’Américaine reste en retrait, réservée, occupée à dessiner sur un des nombreux carnets que le groupe griffonne à longueur de temps pendant la tournée, tandis que le guitariste anglais, visiblement un peu nerveux, répond avec franchise, droit dans les yeux, fumant clope sur clope. S’ensuit un concert magistral, plein d’énergie, le son rauque de leur dernier opus, « Midnight Boom » fabuleusement retranscrit, une quinzaine de chansons piochées dans leurs trois albums et jouées avec passion. La tension entre les deux musiciens se révèle permanente, se défiant, se cherchant des yeux, s’entrechoquant… Le concert aurait été parfait sans une invasion de bobos dijonnais fans de MGMT, passant la moitié du concert à essayer d’attirer l’attention d’Alison en beuglant comme de vulgaires groupies.
Je suppose que vous n’avez pas le temps de visiter toutes les villes où vous passez, donc je vous ai apporté une spécialité du coin.
Hotel : Regarde-moi ça!
VV : Wow! ça a l’air bon. Merci.
Hotel : Du pain d’épices… Nous le mangerons après le concert. Merci beaucoup. Donc c’est pour un magazine…?
Un webzine.
Hotel : Un webzine. Bien… Je me rappelle d’une époque où il y avait des tas de fanzines.
J’ai l’impression qu’ils ont perdu leur lectorat… Internet les a tués, en quelque sorte.
Hotel : Oui. C’est drôle, parce que vous n’avez rien à penser au passé avec un webzine. On fait un fanzine, quelque chose dont on est fier, on l’imprime et quelques temps plus tard, il n’existe plus.
Peut-être qu’un jour tout ce qui est sur le net disparaîtra aussi. Cependant, c’est le bon point, on peut faire tout cela bénévolement, on n’a pas réellement besoin de soutien publicitaire… on ne se fait pas d’argent.
Hotel : Nous non plus… (Rires)
Comment se passe la tournée ?
VV : C’est génial. Vraiment. C’est tout à fait incroyable en fait.
Hotel : On a tourné un mois en Amérique pour faire connaître l’album, on a terminé par deux dates à New York. On avait eu une semaine de repos début septembre, mais après les dates américaines on se sentait encore un peu fatigués, alors on a arrêté de tourner pendant deux semaines au début du mois. On est repartis sur la route, très excités à l’idée de rejouer. Nous avons joué à Nice il y a une semaine (l’interview eut lieu le 22 octobre), l’un des meilleurs qu’on ait jamais faits. Génial. Ensuite à Montpellier le lendemain et c’était vraiment bien. J’adore jouer en France.
Beaucoup de musiciens disent qu’aux Etats-Unis, le public est très statique.
Hotel : Oui. C’est très carré. Il y a trop de règles, de lois, trop de sécurité. C’est une question de limitations. Il y a des choses très étranges aux Etats-Unis, la manière dont le volume est contrôlé, par exemple. C’est tellement calme. Je ne comprends pas. Pourquoi tout cela ? Je ne comprends pas, par exemple, qu’on ne puisse pas vraiment parler très fort. Cela me semble étrange.
Avant d’enregistrer « Midnight Boom », aviez-vous une idée de la manière dont vous vouliez qu’il sonne ?
Hotel : Pas vraiment. Je suis las de voir les choses devenir rétro. Le rock and roll est devenu un musée, passéiste. Chaque groupe à guitare qui sort un album semble recycler les Kinks, les Stones ou n’importe quoi. On a toujours cet amour de l’électricité, l’envie de faire du putain de rock and roll, mais je désirais prendre une direction différente… C’était le chaos absolu en 2001. J’avais probablement envie, à l’époque de « Keep On Your Mean Side », de faire sonner l’album comme s’il pouvait appartenir à n’importe quelle décennie. Cela pourrait être un album des années soixante ou soixante-dix. Je ne voulais pas de la même approche avec « Midnight Boom ».
Vous avez enregistré « Keep On Your Mean Side » sur un huit pistes, une chanson par jour.
VV : A peu près, oui.
Hotel : Davantage, même. On l’a enregistré et mixé en treize jours.
VV : Donc ce serait plutôt deux chansons par jour. Une seule chanson par jour donnait vraiment quelque chose…
Est-ce le même processus maintenant ?
Hotel : J’aimerais que ce soit possible. Mais on ne veut jamais vraiment user du même processus. Enregistrer un album est plutôt traumatisant. Je ne voudrais pas enregistrer un autre album de la même façon que « Midnight Boom ». Après « No Wow », c’était pareil, on ne voulait pas se mettre dans les mêmes conditions. « Midnight Boom » fut trop long à réaliser. Nous avons écrit des dizaines de chansons pour cet album. Beaucoup sont donc passées à la trappe, mais on se bat pour qu’elles donnent toutes quelque chose, d’une manière ou d’une autre. Je serais angoissé de ne plus jamais avoir la possibilité d’enregistrer telle ou telle chanson.
J’ai passé beaucoup de temps à écouter « Midnight Boom » avec un ami, vers une ou deux heures du matin, ne faisant que boire et fumer. On se sentait très libérés, loin de la vitesse du monde moderne. Le disque a un côté très intime, nocturne. J’aimerais savoir s’il a été enregistré la nuit et si l’heure de la journée a une vraie importance à vos yeux.
Hotel : Oui. C’est important. En journée vous êtes dérangés par tout un tas de choses. La journée est ponctuée par le petit-déjeuner, l’arrivée du facteur, ensuite l’heure du déjeuner, la faim, la digestion… Il y a toujours des programmes à la télévision et des gens passant vous voir… Après minuit il n’y a plus rien de cela, rien ne vient vous déranger. C’est comme une ligne droite. C’est surprenant. Comme tu disais, on fume, on boit, on joue. On se rend même pas compte que deux heures ont passé, on a la tête qui tourne. On voit le soleil se lever et on prend conscience qu’on est debout depuis neuf heures. C’est comme un temps secret…