KINGS OF LEON – Only By The Night
(RCA / Sony BMG) [site] – acheter ce disque
Onze ans après la sortie d’"OK Computer", rendons-nous à l’évidence : Radiohead n’a pas ouvert l’immense brèche expérimentale que l’on espérait et, plus regrettable, n’a pas réellement été une locomotive indé comme le furent certains groupes américains dans les années 80. Certes, le groupe d’Oxford a permis à l’industrie de sortir plus rapidement du grunge, et probablement désinhibé nombre de jeunes groupes avides de sentiers non battus. Radiohead n’a ainsi pas tant servi de modèle que de nouvel horizon. Le désir d’introspection, d’une musique à hauteur d’homme en même temps qu’extrêmement figurative symbolisée par "Kid A" et "Amnesiac", est probablement encore trop marginal pour qu’une véritable vague se lève et emporte les vieilles baraques au naufrage. Peu après surgiront ainsi nombre de groupes dont la trajectoire ira presque à sens contraire : production massive, morceaux taillés pour les stades, mélodies et riffs aguichants, et étrangement, comme s’ils sentaient vaguement le besoin de défricher quelques mottes de terres, quelques expérimentations se terminant en bas de fosse, égarées par le mauvais goût, tels Bloc Party ou The Killers. D’autres semblent lorgner du côté de la grosse artillerie tout en gardant les pieds au sol, ainsi Editors ou TV On The Radio.
Enfin, quelques groupes saccagent une vraie qualité d’écriture par un traitement pour le moins problématique. Tels les Kings of Leon avec ce nouvel album. "Only By The Night" débute pourtant de belle manière avec un titre intelligent, à l’ambiance louche, "Closer", habité, semblant être la partition musicale des tourments mentaux du narrateur, une partie de guitare et de synthé maladif pris dans un mouvement de balancier, comme deux corps se désirant mais que quelque chose repousse. On comprend rapidement en écoutant l’efficace et peu original "Use Somebody" et plus encore le truculent single, "Sex on Fire", que l’album tourne autour des questions de la soumission, de la manipulation, du mensonge, des secrets, de la relation des corps aux autres, excercice d’équilibriste sur lequel même R.E.M. s’est cassé quelques dents avec le pourtant sous-estimé "Monster". Il s’agit donc de traiter ces thèmes avec intelligence et de réellement soumettre l’auditeur à la nocivité, le rendre à tout de rôle proie et chasseur. Or, "Only By The Night" demeure gentil, consensuel, sentant à peine le soufre… on est très loin du jeu de masques d’un "I Took Your Name" ou des errements masochistes de "Binky the Doormat". Tout cela manque d’envergure.
Là résident son paradoxe et certainement la cause profonde d’un tel massacre : Kings Of Leon, en désirant traiter des thèmes intimes, nécessitant une bonne dose d’introspection et une séance d’autopsie psychologique, a préféré ouvrir les vannes, se faire abordable, au tapin. On voit certes très bien où ils voulaient en venir : un son empoisonné, une machinerie heavy comme un poids dont on n’arriverait à se débarasser, une narration où les protagonistes forment leur propre morale, définissent des rapports humains qui leurs sont propres et finissent par perdre la clarté de leurs contours. Cela aurait pu très bien tourner. Malheureusement, "Only By The Night" demeure inoffensif, superficiel, comme terrorisé par les interrogations que les personnages, à travers la musique, se posent et nous suscitent. Et au lieu de se rapprocher du point sensible, la musique s’éloigne sourdement, se laissant dominer, et avaler, tournant en boucle sans parvenir à s’échapper. Etrangement, au bout du compte, on se demanderait presque si cet échec de représentation, cette fuite, n’est pas une nécessité théorique en même temps qu’une déception musicale. "Only By The Night" est avant tout le symptome d’une déviance. Intéressant en tant qu’objet, il se perd sur ses propres traces en tant que sujet. A chacun de se positionner, maintenant.
Julian Flacelière
Closer
Crawl
Sex on Fire
Use Somebody
Manhattan
Revelry
17
Notion
I Want You
Be Somebody
Cold Desert