ROCK EN SEINE – Domaine national de Saint-Cloud, 28 août 2008 : R.E.M., Tricky, Dirty Pretty Things, Kaiser Chiefs, The Dø, Narrow Terence, Hot Chip
Grâce aux renforts de la cavalerie Rage Against The Machine, venue attirer 30 000 personnes à elle seule aux avant-postes, le festival Rock en Seine peut aborder sereinement, en termes de financement et donc de pérennité, sa 6ème édition. Tant mieux pour tout le monde. Certes, l’affiche n’est pas la plus défricheuse de l’été, mais entre gros challenges (Amy Winehouse, déclarée indisponible l’an passé, sera-t-elle d’attaque ? BEN NON !), confirmation des talents montants (Blood Red Shoes, The Dø, These New Puritans) et retour en formes de vaches sacrées (Tricky, R.E.M.), la programmation est suffisamment éclectique pour attirer, cette année encore, un public important prêt à "s’euphoriser sans complexe avant la rentrée !" – selon l’expression de Jean-Paul Huchon ou d’un conseiller en affaires culturelles sans doute inspiré. Les reporters de POPnews n’ont pas trouvé les conditions de l’euphorie trop suspectes, le public est bon enfant, il y a un joli accrochage de photos de Youri Lenquette, et pour peu que vous évitiez l’indigestion due à l’assiette antillaise ou à la tartiflette, tout est prévu pour que cela se passe bien. Dont acte.
Arrivé juste à temps pour les Hot Chip, je ne peux que confirmer l’impression donnée par le récent "Made in the Dark" : le groupe arrive à un point d’équilibre entre électro, funk chirurgical, rythmes techno et grosses guitares qui passe très bien la rampe, avec une inventivité réelle et un sens de l’humour toujours plus ou moins volontaire. Le chanteur, plus nerd tu es un circuit électronique, arbore ses fameuses grandes lunettes ainsi qu’une salopette rose pâle recouverte d’une veste jaune poussin du meilleur goût. Sa voix de fausset bien tenue contraste habilement avec l’énergie du groupe. Très vite, et malgré le temps gris plombé et l’heure précoce, les festivaliers gigotent avec plaisir, en connaisseurs. Les tubes se suivent dans un set homogène qui fait pourtant la part belle au dernier album, le meilleur du groupe à ce jour ("Ready for the Floor", "Over and Over", "Shake a Fist"). Tout cela est très bien mené, avec un plaisir évident, mais il manque un rien de folie ou de génie pour emmener le groupe au-delà de l’"intelligent dance floor".
Entendu tout d’abord de loin, puis de près sur la fin du set, avec son inévitable version rock de "On My Shoulders", The Dø m’a fait une plutôt bonne impression, avec son mélange de pop funambule, de guitares "Seventeen Seconds" et de chant acidulé. Sans doute rien de bien neuf par rapport à leur prestation à la dernière Route du Rock. Sur la lancée, je poursuis mon appropriation du "nouveau paysage musical français" avec les rugueux Narrow Terence. Le premier de leur chanteurs à s’élancer a un peu la voix de Bertrand Cantat ayant décidé de soigner sa double angine au bourbon et à la sciure de bois. Le groupe pose assez vite les bases blues-rock de leurs compositions teintées d’americana, mais sans aller beaucoup plus loin : ça s’égosille, ça saupoudre de violon les montées en puissance des guitares, ça brasse des références plutôt haut de gamme (Tom Waits, Nick Cave, Sixteen Horsepower ou Calexico), mais sans jamais vraiment convaincre.
Dans le duel involontaire entre Dirty Pretty Things et Kaiser Chiefs qui se succèdent sur des scènes opposées, les premiers l’emportent par… discrétion. Pas fan pour un sou du band de Carl Barât, je reconnais tout de même un certain plaisir à entendre son groupe tresser les rythmiques des Smiths, l’énergie du Clash et certaines fulgurances des Kinks. Le résultat n’est pas déplaisant et le groupe se donne sans narcissisme. Je n’en dirais pas autant de l’épouvantable Ricky Wilson haranguant la foule et de son groupe confondant sans cesse le rock épique et la fanfare de cirque.
Ne craignons pas de l’avouer : les choses sérieuses commencent ce soir avec Tricky. On pouvait craindre à peu près tout du Knowle West Boy : l’arrêt prématuré du set, la hargne tournée contre le public, que sais-je ? Rien de tout cela. En lieu et place, après un instrumental dos à la foule, et une mise en voix difficile (la chanteuse – Costanza Francavilla ? – lui vole franchement la vedette sur les premiers morceaux, dont un "Puppy Toy" très rock, et s’adapte parfaitement au répertoire ancien du Kid), Tricky se laisse peu à peu emparer par la transe. Sa voix se déchire sur "Past Mistake" en imprécations saisissantes et malades (I hope Jesus come/ to kill the man), et à partir de là, le chanteur assure, sans jouer de rôle, en sublimant la noirceur qui l’habite. Le show est loin d’être parfaitement réglé, mais les musiciens qui l’entourent jouent suffisamment carré pour donner à Tricky un espace à habiter librement.
Quant à R.E.M., il faut reconnaître d’emblée l’enjouement rock du groupe, porté par un Michael Stipe tout à fait à l’aise dans le costard du showman (risquant même une blague pas très drôle avec ses lunettes ultra-couvrantes qui le ferait ressembler au "Daft Punk" américain). Le show est très pro, maîtrisé et généreux, emmené par les compositions du nouvel album, bientôt suivi par un florilège me semble-t-il assez classique du groupe d’Athens : "What’s the Frequency, Kenneth ?", "Drive", The Great Beyond", "Ignoreland", "Hollow Man", "Electrolite", "Imitation of Life"… Terminé comme d’habitude par un très virevoltant "It’s the End of the World", porté par un Stipe très en forme vocalement, le set aura été excellent. Après, le rappel est aussi sans surprises, avec le récent single "Supernatural Superserious" et les inévitables "Losing My Religion" et "Man on the Moon". Les fans étaient aux anges. Pour ceux qui, comme moi, n’ont pas trop suivi le groupe ces dernières pour raison de relative insensibilité aux démonstrations rock du groupe, les moments de grâce et de finesse étaient peut-être trop rares (à part un "Let Me in" servi en acoustique par le groupe réuni en cercle sur la gauche de la scène), mais ne boudons pas notre plaisir : les têtes d’affiche ont tenu leur rang avec maestria et plaisir, Michael Stipe a été impeccable, inspiré et généreux, rien à redire.
David Larre
Photos par Nicolas Joubard.
Merci à Mathieu.