LONELY DRIFTER KAREN – Grass Is Singing
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Je le concède, la pochette n’est pas des plus transcendantes. Ne vous y arrêtez pas, car si elle peut laisser dubitatif (bien qu’elle ne soit pas hideuse non plus), vous allez vite vous rendre compte que la qualité de la musique de Tanja Frinta et de ses deux acolytes est inversement proportionnelle à celle de son contenant. Eh puis, ce qu’il y a de bien avec ces esthètes, c’est justement qu’il n’est nullement nécessaire qu’ils vous collent une belle image sous les yeux pour stimuler votre imaginaire. Les notes s’en chargent. "Grass Is Singing", premier album de la formation, constitue la bande-son idéale du film que vous voudrez irrésistiblement vous faire à son écoute. Je dis film pour la forme, mais au vu de la fantasmagorie sémillante qui s’en dégage, c’est l’univers de la comédie musicale expressionniste qui s’impose davantage à l’esprit. Sur fond de cabaret allemand mijoté à la sauce italo/hispanique, l’Autrichienne plante un décor dont l’architecture cartonnée et colorée prend forme sous une lumière soigneusement écrémée qui lève doucement le voile sur une route vallonnée que nos pieds aventureux rêvent instantanément d’emprunter. Il ne serait pas idiot de situer une petite partie de ce qui est proposé au croisement de l’univers de Tim Burton et de celui de Jean–Pierre Jeunet, sans leurs côtés funèbres ou désenchantés. Chaque recoin regorge de curiosités et d’atmosphères plaisantes. D’abord, on pense à la talentueuse Hanne Hukkelberg pour la dulce locura avec laquelle Tanja aborde les thèmes – un peu pour la voix aussi – et puis, on ne pense plus, on se contente de se laisser transporter tout sourire dans ce petit monde féerique, les pavillons grand ouverts : ici ("Casablanca"), une ambiance de marché du sud vient enrichir de sa magie l’instant de grâce piano/voix habilement distillé, puis, lorsque le jour cède sa place à la nuit, une chouette hulule comme pour assurer la transition. Elle était déjà venue nous saluer dans "The Owl Moans Low". Ni une ni deux, nous voilà déjà repartis vers une nouvelle aventure : là-bas, les rayons d’une bicyclette qui fendent l’air attirent mon attention en endossant, avec brio, le rôle de percussions (assurées par l’inventif Italien Giorgio Menossi). "Carousel Horses" lèche, quant à lui, des saveurs balkaniques à coups de gros cuivre (peut-être un cor) et de tintements xylophoniques (boîte à musique relayée subrepticement par l’instrument). Parfois, un air de viole se frotte au souffle d’un accordéon, mais, au centre, c’est l’omniprésent piano de l’Espagnol Marc Melià Sobrevias – tantôt dépouillé, tantôt auréolé tous azimuts de chœurs ludiques ("Passengers of the Night", "True Desire"…), de guitares et de percussions insolites (machine à écrire, sonnailles…) – qui donne le ton. Sans complexe, le trio peut tout aussi bien s’amuser en habits de jazz ("Professor Dragon", "No True Woman") qu’en fracs pop/folk, en usant même, parfois, de la langue de leur Barcelone d’adoption ("La Hierba Canta") ou du rythme de la vieille Italie ("Giselle"). Mais au fait, pourquoi Lonely Drifter Karen ? Karen est un personnage inspiré du film "Les Idiots" du cinéaste danois Lars Von Trier. Il s’agit d’une rencontre entre une femme en détresse et un groupe de personnes qui a décidé, afin de confronter la société à son hypocrisie, d’accéder à leur "idiot intérieur" en se mettant à jouer au débile. Quant à Drifter et à Lonely, c’est l’idée de recherche et de voyage qui a guidé le combo dans le choix du nom. Voilà, vous en savez assez. Amateurs de folie douce, de magie et de confluence pluriculturelle, il ne tient plus qu’à vous de vous lancer dans cette odyssée qui trouvera, j’en suis sûr, une place de choix sur l’échiquier de votre imaginaire.
David Vertessen
This World Is Crazy
The Angels Sigh
Passengers of the Night
The Owl Moans Low
Climb
Casablanca
Professor Dragon
Salvation
Carousel Horses
True Desire
Giselle
No True Woman
La Hierba Canta