ALAIN BASHUNG – Bleu Pétrole
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Difficile de donner une suite à deux albums aussi forts que "Fantaisie Militaire" (1998) et le très exigeant "L’Imprudence" (2002) ; si difficile d’ailleurs que Bashung a choisi une certaine forme de facilité sur ce "Bleu Pétrole" : celle de se laisser porter par les textes et les musiques des autres (il n’est crédité que sur un texte et deux musiques). Facilité toute relative tout de même puisque Bashung a soigneusement choisi ses collaborateurs. Des collaborateurs qui peignent chacun, en chanson, un portrait personnel d’Alain Bashung, portrait que le chanteur, en y apposant sa voix, se chargera d’achever : étrange situation que d’être à la fois le modèle et celui qui donne les derniers coups de pinceaux.
Avant tout, Bashung a confié cet album à Gaëtan Roussel (leader de Louise Attaque), qui le co-produit et en a écrit près de la moitié. Côté production, Roussel et le chevronné Mark Plati, parviennent à parer les chansons d’un son soyeux, fait de strates d’instruments principalement inspirés de la tradition country/folk et de cordes, un nid parfait pour accueillir la voix du chanteur. Côté chansons, "Je t’ai manqué" apporte une belle fraîcheur pour débuter l’album, plus que le single "Résidents de la République" ou que "Hier à Sousse", qui flirtent avec la parodie ; mais bon, des titres comme "Sur un trapèze", "Le Secret des banquises" ou la mise en musique de "Je tuerai la pianiste" rattrapent ce léger travers. Autre invité notable, Arman Méliès fait des merveilles sur cette petite perle romantique qu’est "Tant de nuits" (somptueuses paroles de Joseph d’Anvers) ou sur la mise en musique du "Vénus" écrit par Manset. Gérard Manset, c’est la plus prestigieuse des plumes de ce "Bleu Pétrole" : il en assure le plat de résistance avec "Comme un lego", ballade de 9 minutes qui observe le monde de haut ; impossible de ne pas reconnaître Manset derrière les paroles et la musique de ce titre, mais Bashung s’en empare de belle manière. Et puis, Manset lui-même joue avec le style Bashung sur "Vénus", joliment accompagné de pizzicatos de cordes, et surtout sur "Je tuerai la pianiste" où il renoue avec une écriture moins contrôlée, plus légère (comme sur son tout premier album de 1968) : un titre inespéré !
La fin de "Bleu Pétrole" comporte deux reprises : celle de "Suzanne" de Leonard Cohen, mais dans sa version adaptée en français par Graeme Allwright, version qui sonne un peu anachronique aujourd’hui et que Bashung respecte trop pour la transcender. Et puis celle de "Il voyage en solitaire", le "tube" de Manset en 1975 : arrangements bluesy pour une jolie reprise assez sage. Un peu trop, peut-être, et on ira, pour plus de folie, réécouter la version d’"Animal, on est mal" sur le tribute "Route Manset". Et, malgré quelques faiblesses, on se réjouira du retour de Bashung sur un album qui, s’il n’est pas aussi intrépide que d’autres, se plaît toujours à défricher.
Christophe Dufeu
Je t’ai manqué
Résidents de la République
Tant de nuits
Hier à Sousse
Vénus
Comme un lego
Sur un trapèze
Je tuerai la pianiste
Suzanne
Le Secret des banquises
Il voyage en solitaire