Radioinactive, ce n’est pas n’importe qui. Cela fait une bonne paye maintenant que nous suivons ce rappeur atypique au flow inarrêtable qui a su se réinventer après chaque album. Des enregistrements cultes de Log Cabin au récent « Soundtrack to a Book », son disque le plus accrocheur, le parcours a été riche. Pourtant, nous n’avions jamais eu l’occasion de rencontrer le personnage. C’est maintenant chose faite.
Je te propose de parler de ta tournée française actuelle. Combien de concerts ont été planifiés ?
Pas assez. Nous avons fait quatre concerts, et nous en avons un autre à Colmar. Nous avons joué à Paris, Lyon, St-Etienne et Nancy. Nous devions en faire plus.
On peut considérer ça comme une tournée « Soundtrack to a Book » ?
Oui, en quelque sorte. L’an dernier j’ai fait une série de concerts en France, à Strasbourg et à Nancy, et c’était la première fois que je jouais des morceaux de « Soundtrack to a Book ». J’ai voulu que plus de gens encore découvrent ces nouveaux titres.
Apparemment tu viens régulièrement en France. C’est à cause du public ? Tu as une relation particulière avec la France ?
Je ne sais pas. Je n’ai pas vraiment de plan. Je ne sais pas trop pourquoi j’ai un public en France ou dans d’autres pays comme la Finlande. Il y a de la musique underground partout, mais il y a des gens plus sensibles à des démarches vraiment artistiques, par exemple en Suède ou dans des pays de ce type. Quelle qu’en soit la raison, j’en profite pour m’y rendre. L’an dernier, par exemple, je suis allé en Autriche, en Suisse, aux Pays-Bas, en Finlande, en Suède et en Allemagne. C’est lié aussi aux gens qui décident de se bouger sur place et qui s’efforcent de nous faire venir. En France, je suis venu aux Transmusicales avec Busdriver il y a environ deux ans, et ça m’a ouvert bien des portes.
Après ton dernier concert à Paris, j’ai discuté avec quelques amis, et on était tous d’accord pour trouver tes nouveaux morceaux vraiment adaptés à la scène. C’était délibéré ?
Quand tu es en tournée et que tu prépares un album dans le même temps, tu cherches à faire de la musique qui se joue facilement live. Quand tu fais quelque chose de lent, c’est rare que ça fonctionne sur scène. J’avais vraiment dans la tête l’idée de faire des morceaux que je prendrais autant de plaisir à jouer qu’à créer.
J’imagine que c’est un peu plus dur de jouer les morceaux de « Pyramidi ». Ils sont plus longs.
Je pense qu’il y a aussi des questions de tempo et de son.
Tu as produit plusieurs titres de ton nouvel album. C’est quelque chose de nouveau.
Non, j’ai produit plusieurs titres de « Pyramidi » aussi. Sur « Soundtrack to a Book », j’ai beaucoup contribué à la production, j’ai fait les sons de départ et la programmation du beat. Mais le génie de l’analogique, c’est Gideon Zaretsky, mon partenaire, celui qui m’a aidé à avoir un plus gros son. J’ai cherché à conserver un son lo-fi, tout en le rendant plus sophistiqué.
Tu as testé les morceaux de ce nouvel album aux US ? Comment a été l’accueil ?
Je pense qu’ils sont assez universels. Quand j’étais môme, j’étais anti tout. J’étais anti-commercial. Je voulais rester complètement underground. Ce n’est pas que je ne veux plus être underground, mais en grandissant, j’ai pris conscience que certains éléments, appelons-ça la musicalité, permettraient d’atteindre plus de gens sans perdre pour autant mes vieux fans.
J’ai en effet le sentiment que tes albums sont de plus en plus pop, dans le bon sens du terme. C’est quelque chose de délibéré ?
Oui, complètement. Comme tu l’as dit : pop dans le bon sens du terme. Pop, ce n’est pas un mot honteux, même s’il y a des tas de trucs pop qui sont horribles (NDLR : pop = variété, aux US). Dans tous les genres de musique, il y a de la pop, que ce soit avec les Beatles ou la musique égyptienne. Ça va au-delà des gens qui ont l’habitude d’écouter cette musique, un peu comme une superstar du reggae qui toucherait des gens qui ne s’intéressent pas à ce genre. Mais en même temps, je fais de la musique étrange et abstraite. Les gens ne connaissent pas nécessairement tout ce que je sors. Je m’efforce d’être plus pop avec mes sorties solo, c’est vrai, mais ce que je fais ne se résume pas à cela.
C’est une évolution commune à l’ensemble des Shapeshifters. Par exemple, le dernier album des Shapeshifters était plus accrocheur et grand public que ses prédécesseurs.
Je ne sais pas ce qui va rendre une musique accrocheuse. Personne n’essaie vraiment de faire des choses plus accrocheuses. Nous cherchons juste à élargir notre public, pour ensuite lui faire écouter autre chose, des sons plus fous. Mais je ne peux pas parler pour les autres. Il n’y a pas de grande convention du rap underground West Coast où nous dirions « mes amis, aujourd’hui, nous allons traiter de tel sujet… ». J’en serais très étonné (rires).
Il n’y a pas de conspirateurs, d’Illuminati.
Non, il n’y a pas d’Illuminati… Ou bien peut-être que si, en fait (rires) ! Mais revenons à « Soundtrack to a Book ». Certains cherchent à faire de la musique qui sonne rétro, d’époque, et d’autres s’efforcent d’innover, de sortir des sons futuristes. Avec mon producteur, nous n’avons voulu faire que de l’analogique. Je suis un peu comme un gosse perdu chez un marchand de bonbons, j’aime mélanger un peu tout ça avec de nouvelles technologies. Je récupère de la musique sur de vieux vinyles. Je préfère ça aux nouvelles sorties, qui sont trop propres, tout particulièrement maintenant que n’importe quel gosse peut enregistrer son propre disque sur son ordinateur ou celui de ses parents…
…et le sortir sur MySpace.
Exactement, et devenir la rock star instantanée ! Moi, je veux juste que les gens s’efforcent de fouiller davantage et de trouver de nouvelles choses. Tous ceux qui font de la musique doivent avoir un son personnel. Et ça transcende la musique, c’est vrai pour la vie en général. Ils ne doivent pas se contenter de ce qu’on leur sert et des limites posées par la société. Ils peuvent chercher, creuser, trouver quelque chose qui leur apporte une satisfaction personnelle. Ce n’est pas « OK, tu es underground, tu dois faire du lo-fi et rapper très vite afin que personne ne puisse te comprendre, même s’il parle anglais ». Tout est permis. Les seules frontières sont celles que tu t’imposes toi-même. Il faut espérer que les gens sachent les franchir.
A propos des raps très rapides, tu dois te douter que la plupart des Français ne comprennent pas les paroles. C’est un problème pour toi ?
Sur tous mes albums, y compris « Soundtrack to a Book », les paroles sont disponibles en anglais. Sur mon site web, sur « Pyramidi », sur « Free Kamal », sur The Weather, sur tous il y a mes paroles. Et puis la voix, c’est aussi un outil et un instrument de percussion. Tout le monde a un cœur qui bat. Tout le monde peut apprécier cette dimension rythmique. Et puis pour moi, les paroles c’est un code, une sorte de langage, un puzzle, que personne ne peut comprendre, même en anglais. Mais si tu l’écoutes plusieurs fois, c’est subliminal, ça entre dans ton cerveau.
C’est vrai aussi des musiques plus lentes. Quand tu entends une chanson pour la première fois à la radio, ce n’est pas forcément les paroles que tu retiens en premier.
Oui. C’est comme le Rubik’s Cube. Quand ça devient trop facile, tu t’en désintéresses. Je veux faire du tridimensionnel. C’est une sorte de code. Une sorte de Da Vinci Code (rires). S’il y a de l’humour, du second degré, un message caché dans ta chanson, elle te marque plus. Il ne faut jamais se prendre trop au sérieux.
J’ai lu récemment une interview que tu avais faite avec mes amis de Hiphopcore, il y a un moment déjà. Tu y parlais d’un projet jazz et d’un autre autour de la musique arabe. C’est toujours d’actualité ?
En fait, nous avons un groupe de jazz, les Free Formers, qui font du jazz éthiopien et du dub. Mais c’est très difficile de se coordonner et d’avoir tout le monde ensemble dans le même studio. Je rêve encore qu’on y parvienne. Sinon, je pars au Sahara pour deux mois en décembre. Je vais au Mali, au Niger, en Libye et en Egypte. Je vais y faire du camping et préparer la bande-son d’un documentaire. Je vais amener ma MPC, un petit magnéto et ma clarinette.