Pour cette 16e édition, la Route du rock avait pour tâche de poursuivre dans la lignée de l’an passé, à savoir une bonne programmation suivie par un public nombreux. Après un programme du vendredi moins prestigieux en noms et des concerts au palais du Grand Large assez décevants, le festival malouin s’est complètement rattrapé les deux jours suivants avec des poids lourds (Belle and Sebastian, Katerine et Franz Ferdinand), atteignant au final une affluence proche de celle de l’an passé.
Vendredi 11 août
Au Fort de Saint-Père, la soirée débute gentiment avec les Howling Bells, jeunes Australiens inconnus de nos services. Mené par la jolie brunette Juanita Stein, chanteuse dotée d’une voix puissante (cf. PJ Harvey, Karen O des Yeah Yeah Yeahs, voire Chrissie Hynde), le groupe déballe un rock plutôt classique, dont le lyrisme sombre et fiévreux peut rappeler quelques compatriotes. On attend d’écouter l’album (sorti sur Bella Union et déjà couvert d’éloges un peu partout) pour se faire une idée.
J’avais été époustouflé par la performance des trois membres de Why? à Art Rock, et bien là, j’ai été déçu. Il faut croire que les petites salles sont plus propices à l’expression des mélodies hip hop/folk subtilement bricolées du trio d’Oakland (cf. également leur concert torse poil au festival Mo’ Fo à Saint-Ouen au début de l’été). J’ai la nette impression que Yoni Wolf était un peu en dehors du coup ce soir là (Josiah Wolf et Douglas MacDiarmid étant eux impeccables). Le choix de la set-list n’était pas non plus des plus judicieux, privilégiant les morceaux les plus personnels (comme le morceau composé avec Fog pour « Hymie’s Basement ») aux plus catchy (même pas de « Sanddollars », tube pourtant souvent entendu lors des mixes entre les groupes pendant tout le festival). Why? nous récompensera quand même avec les géniaux « Rubber Strait » et « Gemini », judicieusement remodelés sur scène, rien que pour nous prouver que, même dans un jour sans, ces Américains sont vraiment fantastiques.
Surgissent alors, tout de blanc vêtus, les sept membres de Islands, la version pop canadienne de Arcade Fire. Jaime Tombeur et Nick Diamonds, têtes pensantes du projet, vont essayer de nous transmettre toute la folie qu’ils ont pu nous apporter lorsqu’ils étaient membres de feu les Unicorns. Tout cela est bien festif, il est vrai, les Canadiens nous proposent leurs morceaux les plus efficaces comme le sautillant « Don’t Call Me Whitney, Bobby », ou encore le délicieux « Rough Gem » et son enthousiasmante ligne de clavier. Par la suite, ils n’évitent pas les fautes de goût avec des titres plus poussifs tels que « Where There’s a Will, There’s a Whalebone », un morceau mi-pop, mi-hip hop où le rappeur de service de la soirée (Yoni Wolf de Why?) vient apporter son expertise (vraiment pas en forme le Yoni, ce soir). Ils finiront sur un « Swans » poussé à l’extrême, presque interminable. Inégal.
Pas revu sur scène depuis son quart d’heure de gloire française (l’Olympia bien garni d’avril 2003), Calexico est toujours le groupe le plus cool du monde. Encore que la bande à John et Joey, désormais composée de musiciens américains et allemands, ait légèrement durci le ton, sans rien perdre néanmoins de sa finesse. Exit les mariachis additionnels (reste quand même deux trompettes), bienvenue à la distorsion et à des rythmiques plus soutenues que par le passé, évoquant quelques glorieux aînés (Dream Syndicate, Green on Red, Miracle Legion…). Soumis à ce régime, les nouveaux morceaux se révèlent particulièrement efficaces, mais les anciens (« The Crystal Frontier », auquel s’intègrera harmonieusement un couplet de « Guns of Brixton ») sont tout aussi délectables. Le groupe sacrifie comme toujours à son goût des reprises : « La Chanson de Prévert », en duo avec une chanteuse rennaise, et « Alone Again Or » dédié à Arthur Lee – privé d’Internet depuis un mois, on apprendra ainsi le décès du leader de Love -, bien que le morceau ait été écrit par Bryan MacLean.
Et c’est là que les baroudeurs annoncent à tous les novices : « Attention, le son de Mogwai, c’est très très fort ». Eh bien, moins qu’avant et ce n’est pas plus mal (même si ça n’empêchera pas certains de frôler le malaise, on les avait pourtant prévenus !). Les Ecossais ont toujours la classe sans pour autant avoir le charisme, car c’est seulement dans l’expression de leurs morceaux que Mogwai s’affaire. Comme d’habitude, nous aurons droit au fameux « Mogwai Fear Satan », le combo ayant décidé d’alterner les titres de leur dernier album (« Mr Beast« ) avec des titres tirés de leurs premières productions. Le quintet finira sur « We Are no Here », extrait de leur dernier opus pour nous faire profiter encore une dernière fois de leurs amples strates de guitares. Ce set fut un poil trop long, mais c’est bien parce qu’il faut trouver une critique…
Précédés par une réputation de bêtes de scène, les Liars étaient attendus les armes au poing. Le premier morceau est tout juste entamé qu’il faut bien reconnaître une hausse significative de la température au Fort de St-Père. Que ce soit avec deux batteries et une voix ou une guitare et des mugissements de bovins, le show de Liars est vraiment une bonne claque : on pense à DNA pour la classe new yorkaise ou aux Talking Heads pour les poses théâtrales d’Angus Andrew, le plus que charismatique leader du groupe. Basé sur la plupart des charbons brûlants de leur dernier album, « Drum’s Not Dead », le set expérimente une nouvelle façon de créer de la musique : sur scène, le groupe joue plus ou moins bien mais avec énergie tandis que, bien calé dans son fauteuil, un ingénieur du son qu’on imagine bourré de substances illicites se fait son petit mix perso à grand renforts d’effets. Malgré une défection assez évidente du public, le trio arrive à déverser son jus de rock pendant une bonne demi-heure. Passé l’heure de jeu, la rage semble s’évaporer au-delà des remparts et je m’enfuis vers le camping où m’attendent conversations enflammées et verres de l’amitié.