New-York regorge de trésors inconnus. Du moins inconnus en France, où personne ne semble avoir entendu parler par exemple de Dufus. C’est pourtant regrettable au vu de l’intérêt de leur production musicale (notamment de leur dernier album, Ball of Design) et de la personnalité de leur mentor, Seth Hebert-Faergolzia, qui, au fil des mails échangés par-dessus l’Atlantique s’est livré sur son groupe, sa musique et sa vision du monde. Dufus est actuellement en tournée européenne (avec une escale au POP’in le 25 mai).
J’ai découvert Dufus alors que j’étais en vadrouille sur le site officiel de Jeffrey Lewis, qui vous présentait comme le groupe le plus captivant de New-York. Bien que vous ayez sorti beaucoup plus de disques que lui, Jeffrey Lewis est bien plus populaire que vous ne l’êtes en France, et ce malgré une approche artistique relativement comparable dans le fond. Comment est-ce que tu expliques ça ?
Jeffrey Lewis est un songwriter incroyable, une bête de scène, un artiste d’une grande générosité (demandez aux gens avec qui il a partagé une tournée), il connaît l’histoire du rock par cœur, et par-dessus tout ça, c’est un bon businessman. Dufus, par nature, est très instable. Je n’ai jamais été bon en affaires et je sabote souvent un projet pour le reconstruire à partir de rien et me donner l’impression d’avoir quelque chose de nouveau. Il faut dire aussi que quand, en 2002, Jeffrey et moi étions sur le point de faire une tournée commune en Angleterre, je suis tombé salement malade, ce qui m’a empêché de tourner pendant trois ans environ. Ce n’est que depuis récemment que je peux faire à nouveau des concerts.
Est-ce qu’on peut dire que vous êtes attachés à une certaine forme de confidentialité ? En d’autres termes, est-ce qu’un gros succès commercial pourrait coller avec ta vision artistique des choses et la façon dont tu envisages la musique ?
Je vois bien Dufus grandir lentement et sûrement pendant une période, disons… de 30 ans. Ça ne me semblerait pas si bizarre. Si quelque chose se passait brusquement, ça aurait l’air contre-nature.
Y a-t-il une raison particulière qui fasse que tu aies recours au langage parlé même dans les paroles des chansons inclues dans les livrets ? D’un point de vue marketing, j’imagine que ce n’est pas très payant.
Cette méthode d’écriture était la première étape de mes efforts en vue de créer un nouveau langage. J’ai beaucoup évolué depuis cette époque. Les gens n’auraient pas du tout pu comprendre ce que j’écrivais si j’avais gardé cette écriture pour les livrets. Les choses ont beaucoup changé depuis.
Il ne me semble pas évident de séparer ta musique d’un certain mode de vie, et tous deux ont cette connotation très « underground », si ça signifie quelque chose. Est-ce qu’il serait exagéré de dire que la musique de Dufus a une certaine portée sociale ?
Mon but ultime est de créer de la beauté. Il y a beaucoup d’obstacles à ce but. J’en ai parlé dans mes précédents travaux. C’était en réaction au Onze Septembre et à la guerre en Irak que nos deux albums sur ROIR ont été écrits. J’ai remarqué que les changements sociaux interviennent souvent quand les gens n’ont justement pas conscience des changements qu’ils occasionnent, et c’est quand ils agissent selon leur libre arbitre, accompagné d’un désir d’interaction positive que les changements les plus durables surviennent. Quand les gens se battent contre la guerre, ça crée simplement plus de guerre.
Est-ce que tu peux nous en dire plus sur tes activités parallèles ?
La plupart du temps, je crée des habits, en les détruisant et les recréant, en m’appropriant différents cadeaux de l’univers (je trouve des habits et d’autres objets divers pendant mes voyages) et les assemblant de telle sorte que ça accroche mon regard. Je peins aussi, j’écris un peu. Mais la musique reste ma préoccupation principale. Cet hiver, j’enregistrerai mon nouvel opéra rock avec marionnettes, « 23 Psaegz », qui est une oeuvre en trois parties de quarante minutes, dont les sections ne se répètent pas. C’est donc un travail toujours mouvant, un vrai carambolage cérébral qui est censé réveiller l’auditeur. On n’a pas encore commencé à enregistrer. J’imagine que ce sera prêt à l’automne 2006. L’autre projet en cours est le nouvel album de Dufus, « The Last Classed Blast », qu’on est en train d’enregistrer. Il sortira sur Iron Man Records. Ils ont déjà sorti un de nos disques et ont beaucoup aidé à notre promotion. Des gens supers.
Est-ce que ce serait exagéré de dire que vous tendez vers une certaine forme de bestialité dans votre musique ?
En tant qu’êtres vivants, je pense que les animaux sont plus aboutis que les hommes, plus profondément en contact avec le désir universel, ne prenant généralement pas plus que ce dont ils ont besoin, ne tuant que par nécessité. Il y a chez moi une profonde admiration des mœurs animales. Et oui, on peut donc dire, en un sens, qu’il y a un degré de bestialité en moi. J’avais un coq domestique il y a quelques temps. Il m’a beaucoup appris à siffloter et à être attentif aux oiseaux. Une partie importante de ma musique vient des sons que j’entends quand je me balade dans les bois. J’ai appris au moins autant des sons des animaux que je ne l’ai fait au contact des hommes.