Malgré une discographie qui commence à prendre de la longueur et un succès critique toujours grandissant, la notoriété de Neal Casal semble devoir s’arrêter en France à quelques trop rares amateurs, touchés par ses chansons intimistes et parfois vulnérables. A l’heure de la sortie de son nouvel album, « No Wish to Reminisce », qui lui apportera peut-être la consécration attendue, l’occasion semblait bonne de s’entretenir avec l’un des porte-drapeaux d’un certain songwriting folk américain.
Il y a quelques années, une personne que vous connaissez bien me parlait de votre musique, que je ne connaissais pas vraiment à l’époque en revanche, en m’expliquant qu’elle touchait la partie féminine de sa personnalité. Est-ce que ça vous semble approprié à ce que vous faites ?
Je ne peux pas parler pour lui. Mais de mon point de vue, il y a certainement quelque chose de ce genre dans ma musique. Je pense accorder une large place à l’introspection, à la sensibilité. Je pense que je m’exprime à propos de choses très émotionnelles dont on ne parle pas toujours, et avec lesquelles la musique « rock » veut garder de la distance, d’une certaine façon. Tout ce que je fais ne sonne pas de cette façon, j’ai aussi écrit des morceaux plus rock qui ne rentrent pas dans ce schéma. Mais je dirais que c’est en effet pertinent parce que je reste… très en contact avec ma part féminine. (Rires). Par ailleurs, il y a une certaine douceur dans ma voix aussi. Je ne suis pas du tout surpris qu’on ait ce genre de réaction par rapport à ma musique en tout cas. Je le prends plutôt comme un compliment. C’est facile de jouer les durs, de jouer fort et rapide. C’est la voie la plus simple, spécialement dans le rock. Mais c’est autre chose de se montrer vulnérable et fragile, et les gens qui n’aiment pas ça peuvent effectivement me rentrer dedans sans problème. Mais ça m’est égal.
A vrai dire, la personne qui m’avait dit ça était Michel Pampelune (qui a découvert Neal Casal et sorti tous ses disques en France via Fargo), je pense donc qu’on peut voir ça comme un compliment.
Ah. C’est justement le type dont le groupe préféré est The Lords of Altamont. La remarque a d’autant plus d’impact venant de lui. (Rires).
Par rapport à Fargo justement, on peut dire que vous êtes réellement l’un des artistes emblématiques du label. Qu’est-ce que ça fait d’avoir ce statut, cette importance au sein d’une maison de disques comme celle-là.
J’en suis très fier. « The Sun Rises Here » a été le premier disque sur Fargo. Et je suis évidemment très fier d’avoir été là à ce moment-là, puis d’avoir assisté au développement du label, de l’avoir vu croître et s’améliorer au fil des années. Tout ça s’est fait en parallèle de ma propre carrière. On a fait ça ensemble, et je n’en ressens que de la fierté. Ce n’est pas seulement le label sur lequel je suis, mais quelque part j’ai le sentiment aussi d’en détenir une partie. Même si ce n’est pas vrai bien sûr. Tous les groupes signés et toute la gestion du label reflètent uniquement la vision de Michel évidemment. Mais j’ai assisté à toutes les étapes franchies et j’en ai discuté avec lui pendant toutes ces années. J’ai vraiment le sentiment de faire partie du groupe.
Hier, vous avez justement joué une chanson avec Emily Loizeau qui a été récemment signée chez Fargo. Est-ce que c’était important pour vous, symboliquement parlant, de le faire pour marquer votre appartenance à cette « famille Fargo » ?
L’idée était de Michel en fait. C’est lui qui a en général ce genre d’intuitions et il tient à établir ce type de connexions entre les artistes dont il s’occupe, même s’il s’agit de genres très différents a priori. Pour moi c’était très excitant. J’ai joué avec énormément de gens, ça fait partie de mon travail. Mais jouer cette chanson avec Emily a été l’une des expériences les plus étonnantes. Elle a choisi une de mes chansons qu’elle aimait particulièrement. Il se trouve que je n’avais jamais joué ce titre en concert auparavant. Le fait de la traduire en français comme Emily l’a fait et d’alterner les couplets français/ anglais était une excellente idée à mon avis. En tant qu’Américain en exil à Paris, interpréter une chanson en duo avec une Française avait quelque chose de très excitant. C’est pour ça que je voulais la jouer très romance et que je n’arrêtais pas d’aller voir Emily au piano. (Rires) Je l’ai jouée avec un plaisir incroyable, je n’oublierai pas ça.
Les collaborations avec d’autres artistes représentent une grande partie de votre travail de musicien. Dans quelle mesure vous pensez que ça peut influencer votre travail de compositeur ?
Ça l’influence certainement, et de façon très positive. Ça facilite le processus de création. Le fait d’être sans cesse en contact avec des gens qui créent est extrêmement stimulant. Une chose influence une autre, c’est la raison pour laquelle je joue aussi souvent avec des gens. Ne faire qu’une seule chose, ce n’est pas assez pour moi. J’ai envie de jouer ma propre musique mais aussi de jouer celle des autres à partir du moment où je trouve ça très bon. J’aime l’idée d’être un chanteur un jour, un guitariste le lendemain, un joueur de piano la semaine suivante. Et recommencer tout. Parfois je suis un batteur. Mais l’écriture de chansons vient d’un lieu tout à fait unique. C’est une chose séparée. Le fait d’être en contact avec des gens qui écrivent et qui ont leur propre approche de la musique m’a certainement influencé, mais l’acte de création lui-même est tellement unique… Du moins quand j’écris des chansons pour mes albums solos, ça n’a vraiment strictement rien à voir avec quoi que ce soit d’autre. C’est une pure émotion, qui ne vient même pas forcément d’une intuition musicale au départ. C’est déconnecté du fait d’être un musicien ou non je pense. La source est assez mystérieuse. Je vois ça comme un immense corps aquatique entouré de vapeurs énigmatiques. C’est quelque chose dans mes rêves, dans ma mémoire peut-être. Parfois je visualise ça parfaitement dans mes rêves. Mais ce n’est que dans ces moments-là que je peux savoir d’où viennent les chansons. Mais évidemment, ce n’est rien de tangible. C’est le meilleur endroit que je puisse imaginer. Chanter et jouer de la guitare sont des choses incroyables, j’espère vraiment que je pourrais faire ça toute ma vie. Mais la meilleure partie de tout ça, c’est l’écriture d’une chanson. D’ailleurs, je ne suis pas sûr d’écrire vraiment une chanson quand je compose. J’en prends crédit, mais quelque part, j’ai le sentiment que la chanson m’est donnée plutôt que je ne la crée réellement. Quoi qu’il en soit, un bon morceau peut t’emmener très loin. Il y a des chansons que j’ai écrites il y a treize ou quatorze ans qui me touchent encore énormément aujourd’hui. Ce n’est pas le cas de toutes, mais c’est le cas des bonnes.