THE DURUTTI COLUMN – Forum Des Images, Paris, le 3 septembre 2005
Nous aurions aimé vous offrir, outre ce compte rendu du concert, une interview de Vini Reilly, seul maître à bord de Durutti Column depuis la fin des années 70. Ce n’est pas faute d’avoir essayé – nous nous y sommes même pris à deux fois -, mais rien n’y fit : de santé fragile et de tempérament un peu instable, malgré une indéniable gentillesse, le quinquagénaire mancunien préféra se soustraire à ce qu’il n’a jamais considéré comme une obligation. On ne lui en veut pas, d’autant qu’il ne se fit pas prier pour dédicacer les pochettes d’un des deux auteurs de cet article, à l’issue de sa balance au Forum des Images. Où nous retournions quelques heures plus tard pour la première des deux soirées de L’Etrange Musique, organisées dans le cadre de L’Etrange Festival. Soirée programmée par Jean-Pierre Turmel, le fondateur du mythique micro-label français Sordide Sentimental.
Evacuons rapidement le cas Tempsion : pour moi – Guillaume, Vincent est beaucoup plus calé -, humble béotien, la "performance" de ce groupe marque la limite d’un territoire expérimento-conceptuel où je me garderai bien de mettre les pieds – et a fortiori, les oreilles – tant j’ai tendance, malgré force efforts de mon pâle intellect de popeux simpliste, à penser spontanément que c’est avant tout un bon gros n’importe quoi. Le bénéfice du doute s’efface progressivement, et disparaît totalement quand sur l’écran derrière le groupe s’affichent façon puzzle des vignettes tirées de très explicites films pornographiques. Ben voyons.
L’événement de cette première journée était bien la venue de Durutti Column, absent des scènes françaises depuis fort longtemps. Entouré de Keir Stewart (basse, claviers, samples, harmonica) et du fidèle Bruce Mitchell ("le seul batteur qui puisse jouer ma musique", précise-t-il), Vini Reilly débarque sur la scène, annonce dans un français charmant qu’il ne va pas parler français, fignole quelques réglages sur ses amplis et débute son set. Pour qui considère "Domo Arigato" comme un des albums live les plus touchants jamais sortis, le début de ce concert est exemplaire avec un mirifique "Sketch for Summer", tiré du premier album "The Return of the Durutti Column". La guitare de Vini émerveille de versatilité, de virtuosité mélodique, dans ce style si caractéristique, mélange d’arpèges, d’harmoniques, de descentes et montées sur le manche, nimbé de reverb et de delay, mais aussi, c’est plus surprenant, d’accords plus appuyés voire de grappes de notes saturées évoquant davantage Steve Vai que Johnny Marr. Ma voisine en perd ses espadrilles.
Après ce début de concert de rêve, quelques petits problèmes techniques viennent contrarier l’événement : micro en rade, sampler récalcitrant. Cela n’empêche pas le trio de délivrer une version ahurissante de "Woman", sans doute une des plus belles réussites de Vini parmi ses nombreuses tentatives de mariage guitare/électronique/sampler pas toujours très pertinentes (remarquons quand même qu’il a samplé des voix de chanteurs de blues et de soul des années avant le carton planétaire de Moby), et surtout une version très poignante de "Requiem for my Mother", pièce centrale du "Someone Else’s Party" de 2003.
Pince-sans-rire, Vini écartera bien entendu de la setlist "The Missing Boy", titre hommage à Ian Curtis qu’il avait assuré dans les colonnes de "Libé" le matin même jouer à chaque concert ! Mais c’est bien la bonne humeur qui prévaut, en témoigne celle de Bruce Mitchell, le sourire aux lèvres en permanence en plus d’un jeu d’exception. Après un morceau exécuté en solo par Vini, accroupi, un trop bref rappel conclut un trop bref et trop rare concert. S’ils reviennent dans dix ans, on sera là (avec femmes et enfants ?).
Il n’est pas loin de minuit quand The Red Krayola, précédé d’une étrange musique instrumentale diffusée par la sono, débarque dans un amphi quelque peu clairsemé. Il se videra d’ailleurs au fur et à mesure du concert, sans qu’on sache trop si ces départs sont dus au caractère astringent de la musique ou aux derniers métros (on penche plutôt pour cette seconde hypothèse). En trio minimal – Mayo Thompson au chant et à la guitare, un deuxième guitariste qui pourrait presque être son fils et un batteur qui pourrait presque être son petit-fils -, le plus culte des groupes de rock expérimental (ou l’inverse) est fidèle à sa réputation. Les premiers morceaux sont déstructurés et dissonants, dans la lignée du Captain Beefheart de "Trout Mask Replica", les guitares crissent, la voix ne caresse pas vraiment l’auditeur dans le sens du poil. Une jeune Asiatique semblant un peu perdue vient chanter quelques textes avec Thompson, les lisant parfois dans un cahier ; c’est ensuite l’omniprésent et toujours barbu Quentin Rollet qui vient accompagner les Américains de son sax très free. On reconnaît quelques morceaux du premier album comme "Hurricane Fighter Plane" ou "Transparent Radiation", qui annonçaient dès 1967 la musique de Pere Ubu (que Thompson rejoignit dans les années 80, produisant également des disques de The Fall, des Raincoats, des Chills, Felt, Primal Scream Monochrome Set ou Cabaret Voltaire, entre autres) et la veine la plus avant-gardiste et radicale du post-punk britannique (dont un Red Krayola remanié fut l’un des fleurons, sur Rough Trade). Le reste doit être tiré de disques plus récents ou de l’unique album solo de Mayo Thompson, paru en 1969. Sorte de leçon d’histoire (secrète) du rock, ce concert prouvait qu’on peut encore jouer une musique excitante et sans compromis tout en ayant commencé dans les années 60. Certaines Pierres qui roulent feraient bien de s’en inspirer…
Guillaume et Vincent
Photos par Guillaume.
Merci à Hic et Nunc