FLORENT MARCHET
Aujourd’hui, on parle mafia berrichonne (Erik Arnaud, les frères Poggio), concerts, Gainsbourg et juke box vivant. La suite samedi matin.
Quand je t’ai entendu pour la première fois, c’était sur la compilation des Inrocks donc, et je m’étais dit, "tiens, on dirait une version 2002 de "Tous pareils", le titre d’Erik Arnaud", je ne savais pas que tu avais travaillé avec lui…
Justement, il est derrière toi (rires). Ce style-là m’était complètement étranger, comme je te le disais tout à l’heure… je ne sais pas comment on l’appelle d’ailleurs cette musique, musique indépendante, musique spé, musique singulière… A l’époque, je travaillais déjà avec les frères Poggio sur un répertoire très différent, qui hésitait entre la chanson de facture très classique, un peu Rive Gauche, et le rock, pas très maîtrisé, un peu du collage. Un jour, François m’a parlé d’un chanteur avec lequel il travaillait, qui s’appelait Erik Arnaud. Au départ, l’univers m’a paru super étrange, je n’avais pas forcément les clefs pour tout comprendre, un petit peu comme en jazz où quand on ne connaît pas, on a l’impression que tous les morceaux se ressemblent. Je me suis retrouvé sur scène avec lui, à jouer du clavier. Mais je crois qu’au départ il a dû s’arracher les cheveux car je ne comprenais pas du tout cette musique. Petit à petit je suis rentré dedans, et ça fait partie des déclics que j’ai pu avoir, tant en terme de textes que de musique. C’est à cette époque que j’ai découvert des gens comme Murat ou Dominique A, vraiment sur le tard. Je connaissais bien les vieux chanteurs français, mais pas les nouveaux. En fait, j’avais l’impression qu’il ne se passait rien. C’est tellement sous-médiatisé. Et en fait, il y a des tas de gens qui font des choses incroyables, qu’on ne connaît pas du tout, des gens comme Pierre Bondu, Katerine par exemple. Ca a fait partie des rencontres décisives dans mon parcours. Avec Frédéric Lo aussi, on s’est rencontré, on est devenu très amis. Il me faisait écouter plein d’albums, je prenais des claques et je repartais de chez lui avec plein de disques sous le bras. C’était très curieux, parce que c’était la première fois que je n’écoutais pas des disques par snobisme. Quand j’avais 20 ans, j’écoutais des disques pour faire le malin, des trucs comme Cecil Taylor, auxquels je ne comprenais rien. Comme quand je lisais Lautréamont à quatorze ans. C’est la première fois, en écoutant et ces chanteurs là et des gens comme Elliott Smith, que ça me parlait directement, comme ça, de l’émotion pure. C’est important parfois de se forcer à trouver les clefs d’un univers, mais là, ça me paraissait tellement limpide et évident que je me demandais comment j’avais pu passer à côté pendant autant de temps.
Les frères Poggio, c’est l’ossature de ton groupe de scène, que ce soit en duo avec François ou à quatre. Sur scène, il y a un bon équilibre entre le côté rock, plus présent que sur le disque, et la richesse d’arrangements du disque…
Ca vient aussi de contingences techniques. A partir du moment où j’enregistrais dans de petites pièces, de manière quasiment artisanale, comme ça à la maison, je ne pouvais pas forcément prétendre à un son trop rock, ce n’était pas nécessairement un choix. J’ai voulu quelque chose de plus intimiste, à la dimension des pièces dans lesquels j’ai enregistré. Sur scène, le traitement du son est différent, et puis je veux défendre les chansons d’une façon plus physique. Aujourd’hui, depuis quelques concerts, j’ai réussi à me libérer, à me trouver en tant qu’interprète. Je retrouve les impressions que j’avais dans les bars, ce que j’avais perdu au début de la tournée, en septembre. J’ai toujours l’impression de devoir recommencer à zéro, mais là, au début de la tournée, c’était terrible, je pensais arrêter la scène, en me disant que je n’étais pas fait pour ça. Le fait d’y revenir aujourd’hui et de retrouver ces sensations, c’est génial. J’ai besoin d’être sur scène et de ne pas être là pour rien. Je n’aime pas du tout perdre mon temps. Si je suis sur une scène et si j’ai fait 400 km pour aller faire ce concert, il faut que je m’implique physiquement. Et c’est peut-être pour cela qu’il s’agit plus d’une énergie rock.
Tu as enchaîné pas mal de concerts depuis la sortie de l’album…
Depuis la sortie de l’album, j’ai dû faire à peu près trente-cinq concerts. Pas mal en formule à deux mais aussi une quinzaine de dates à quatre, et ça commence à tourner, ça devient une drogue, je ne m’en passe plus. La tournée 2004 s’est arrêtée mardi (à Nantes, Ndlr), et je suis déjà impatient de recommencer. Je me dis que dès qu’on attend trop, on a du mal à reprendre, c’est comme un entraînement de vélo ou de tennis. Je ne sais plus quel pianiste classique disait ça : "lorsque je ne joue pas de piano pendant une journée, moi je m’en rends compte, lorsque je ne joue pas pendant deux jours, la personne avec qui je vis s’en rend compte, lorsque c’est trois jours, mon public s’en rend compte". Et je pense que c’est assez vrai. Il faudrait presque être tous les jours sur scène pour progresser. Et ça, ce n’est pas facile. On est quand même dans une période où, même si on ne le dit pas beaucoup, les salles de concerts galèrent, où c’est très dur de tourner si l’on n’a pas de tour support. Moi aujourd’hui, si je n’ai pas un tourneur qui met parfois jusqu’à 50% du budget pour financer un concert, il n’y a pas de tournée. Je ne vaux pas grand chose aujourd’hui, c’est une évidence. Même si parfois je ramène de 150 à 200 personnes, ce que je trouve très très bien en province, ça ne suffit pas à ce que l’organisateur y trouve son compte, il y a des frais colossaux, un camion à louer, du matériel, des musiciens à payer, du personnel à payer. Pour tourner au départ, il faut tourner à perte. C’est pour cela qu’il y a plein de chanteurs qui ne vendent pas suffisamment pour faire de la scène, qui du coup ne font pas assez de scène pour qu’on dise que c’est bien sur scène parce qu’ils n’ont pas eu assez de temps pour se trouver. Quand on a une soixantaine de dates derrière soi, à moins de n’être vraiment pas fait pour la scène, il y a très peu de chance pour qu’on soit moyen, au bout d’un moment on est rodé, on se trouve, on s’exprime. Il n’y a pas de raison qu’il y ait une aussi grande différence entre l’album et la scène. La gestation d’un album, c’est deux mois de travail où l’on bosse continuellement, pour la scène, c’est pareil : au bout de deux mois, on obtient un résultat. La différence, c’est qu’en studio, il n’y a personne, alors qu’en concert, on fabrique ce qu’on va être sur scène en direct devant un public, et ça c’est nettement plus casse-gueule.
Donc l’idée que le public n’achète peut-être plus de CD, mais que par contre les salles ne désemplissent pas, c’est un leurre ?
Oui, c’est une connerie. Je ne sais pas si on peut le dire, mais par exemple, l’autre jour, je discutais avec JP Nataf : dans une salle de 400 places à Lyon, il a fait 40 personnes. Il a très peu de dates, c’est difficile, ça fait un peu mal au coeur. Alors quand j’entends dire "les gens gravent des CD, mais c’est parce qu’ils vont plus aux concerts". Oui, "Holiday On Ice", peut-être. Mais des gens comme Pierre Bondu ou Dominique A ont du mal à remplir. "Le Courage des oiseaux", pour moi, c’est "La Javanaise". Et pourtant… Faut dire qu’à l’époque, "Melody Nelson", il s’en est vendu 8000. Moi je peux dire que j’ai vendu plus de mon premier disque que Gainsbourg à la sortie de "Melody Nelson", ce disque qui est devenu une référence. Ça en est comique…
D’un autre côté, si Gainsbourg est hyper connu aujourd’hui auprès des ménagères de moins de cinquante ans, ce n’est toujours pas grâce à "Melody Nelson".
Non, mais c’est dévenu une référence qui a contribué à faire dire que Gainsbourg était un grand. S’il n’avait fait que les chansons pour France Gall ou Joëlle Ursull, on n’en parlerait pas de la même manière. C’est grâce à des albums comme "Melody Nelson", "L’homme à la tête de choux" et à ses premières chansons que Gainsbourg est devenu un monument. Pour cela, il fallait, et à l’époque la conjoncture le permettait, que la maison de disques prenne le risque de se ramasser sur un album, mais on laissait un artiste s’exprimer.
En plus, ce sont des albums qui coûtaient particulièrement cher, avec des musiciens, des arrangeurs, c’était à perte. A propos de Gainsbourg, c’est quelqu’un que tu reprends sur scène justement.
Oui, c’est un hasard. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup, mais à part "Melody Nelson" et ‘"L’homme à la tête de choux", je n’ai pas d’autres albums à la maison. Simplement, à l’époque où je jouais les morceaux des autres dans les cafés, on m’avait demandé de ne jouer que des morceaux de Gainsbourg pour une soirée, j’étais payé pour le faire. Alors j’ai fait le tour des chansons que je connaissais, et je me suis souvenu que quand j’avais quinze ans, j’avais une petite amie qui écoutait l’album de Birkin, et que j’aimais cette chanson. Je ne l’ai pas réécoutée depuis, je me souviens juste que les arrangements ne devaient pas être top top. Je l’avais beaucoup écoutée, je me souvenais de la mélodie, de l’harmonie et je l’avais jouée à la guitare, comme ça. Quand l’idée est venue de faire une reprise, j’ai pensé à celle-là, il y a un petit côté Blonde Redhead qui me parle.
Tu ne l’as jamais réécoutée ?
J’ai cette mémoire-là, oui. Je connais plein de chansons, ayant fait beaucoup de piano bar, je retiens toutes les structures, c’est normal.
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