FLORENT MARCHET
Deuxième épisode de la rencontre avec Florent Marchet. Aujourd’hui, après quelques propos liminaires, on apprend comment l’auteur de "Je m’en tire pas mal" s’en est effectivement tiré pas mal et a fini par trouver sa voie.
Tu as eu un parcours très varié… par exemple, tu as joué dans un groupe de folk…
Oui, c’est toujours du fait des rencontres, du hasard. Je me suis cherché pendant très longtemps. J’aimais la musique, d’abord le classique jusqu’à l’âge de dix-sept ans. C’était une forme de rébellion, je le reconnais aujourd’hui, je voulais me démarquer et des copains qui écoutaient les daubes du Top 50, et de mes parents qui écoutaient une chanson assez intellectuelle et classique. Moi je voulais avoir aussi mon truc. J’avais aussi le fantasme, à travers la campagne qui m’entourait, d’être compositeur à la cour, de vivre un petit peu en marge. J’ai toujours été soit un faux solitaire, soit un faux sociable : j’aimais à la fois être entouré de beaucoup de copains et être très seul. J’aimais penser à des choses mélancoliques, me mettre dans la peau d’un compositeur du XIXe siècle qui pourrait souffrir, qui pourrait être dans sa musique, être fiévreux. J’aime toujours autant l’hiver à cause de ça, c’est une saison où on se sent entouré, où les choses sont sombres, font penser à cette musique romantique. Pendant longtemps, j’ai été comme ça, je jouais du piano toute la journée, ma vie, ce n’était que ça. Quand j’ai compris que je ne pourrais pas être concertiste, j’ai découvert le jazz, je m’y suis mis pendant pas mal de temps. Je suis devenu pianiste de bar, j’ai commencé à jouer dans les pubs avec un groupe de musique traditionnelle, j’étais à l’accordéon ou la mandoline, puis après à la guitare, à la basse, plein d’instruments, chaque fois qu’il fallait gagner ma vie. Je me suis toujours dit qu’il me fallait maîtriser le maximum d’outils car ça me permettrait d’avoir le maximum de travail. C’est comme ça que je me suis retrouvé dans des pièces de théâtre. Il n’y avait pas de barrières, de toute façon, je me cherchais, et comme je me trouvais pas, je ne me disais qu’en multipliant les styles, j’allais finir par trouver mon style, qui fasse que je m’épanouisse, que je trouve un univers à construire et à défendre.
Et justement, comment tu l’as trouvé, cet univers, parce que jusque là ton parcours était assez différent de ce que tu fais maintenant ?
Je l’ai trouvé à un moment où j’ai eu presque un ras le bol de la musique. J’avais l’impression de tourner en rond à donner tous ces concerts, de m’éparpiller de plus en plus. Il s’est aussi trouvé que je n’avais plus du tout de contrat, et je me suis retrouvé chez moi pendant deux ans pratiquement, à ne pas faire grand chose, si ce n’est découvrir par hasard, chez des amis, des artistes qui m’ont fasciné comme Elliott Smith ou Nick Drake. Tout d’un coup, j’ai eu une sorte de révélation. Je me suis dit que c’était cette émotion-là que j’aimais. Je savais bien que mon style ne ressemblerait pas forcément à ça, mais c’était quelque chose qui me parlait tellement fort et aussi regroupait tout ce que j’avais aimé en jazz, avec Monk ou Chet Baker, en classique avec des gens comme Debussy ou en folk, à travers la musique irlandaise, des gens comme John Renbourn, un guitariste pas très connu mais qui a influencé beaucoup de gens dans les années 90. Tout cela était concentré sur un même album, j’ai commencé à en écouter beaucoup, à découvrir des gens comme les Pixies, Nirvana, Buckley, et puis des choses plus récentes comme Blonde Redhead, Shannon Wright, Ed Harcourt… Ca me parle vraiment, il n’y a pas un truc qui ne m’a accroché qu’à moitié. Ca m’a redonné l’envie de composer. J’ai acheté un ordinateur, je me suis endetté auprès de ma banque, heureusement, mon banquier me connaît depuis que je suis tout petit, c’est un peu une chance. J’ai commencé à travailler tout seul dans mon coin, parfois plus de huit heures par jour, à écrire des chansons. J’ai eu des révélations littéraires aussi, des gens comme Brett Easton Ellis, Houellebecq. Tout d’un coup, j’ai trouvé mon langage, et les chansons sont finalement venues plutôt rapidement. J’avais toujours écrit des chansons, mais elles manquaient de cohérence, c’était comme s’il s’était écoulé quinze ans entre chacune d’entre elles. Tout d’un coup, il y avait une cohérence, j’avais l’impression d’être en train de bâtir un univers.
C’était longtemps avant que tu ne sois sélectionné par les Inrocks pour CQFD ? Tu avais déjà un contrat d’édition à l’époque ?
Oui, quelques mois avant, j’étais en pleine écriture de chansons. J’ai proposé mon travail à deux éditeurs. L’un s’en foutait complètement. L’autre qui m’a rappelé, m’a dit qu’il fallait qu’on se rencontre et avec lequel j’ai signé. C’est cet éditeur qui m’a stimulé pour qu’on fasse un album, qui a démarché auprès des maisons de disques. Ca s’est fait lentement, doucement, assez simplement, sans qu’on ait le temps d’y penser. Il n’y a pas eu de date événementielle. Même avec la maison de disques : ils sont venus me voir sur scène au moins trois fois, pour se convaincre. Ils savaient que ça n’allait pas forcément être un album qui allait fonctionner tout de suite, qu’on faisait ce qu’on appelle du développement, qu’on construisait un univers, un parcours.
Ce n’est pas si fréquent en ce moment non ?
Ils ont plutôt intérêt en même temps, parce que les chanteurs Kleenex, ça va un petit peu, mais on va bientôt finir par ne sortir que des compiles de Brel ou de Brassens. C’est vrai qu’aujourd’hui, c’est un peu le royaume des interprètes, avec tout un tas d’auteurs-compositeurs qui travaillent dans l’ombre, avec un cahier des charges extrêmement précis. Même si on parle du renouveau de la chanson française, on a quand même du mal à laisser le temps à des artistes de se réaliser. Un artiste ne trouve souvent son véritable univers qu’au bout de trois albums, minimum. Il faut aussi de l’expérience. Le studio, ce n’est pas une chose facile, entre jouer chez soi les chansons et avoir une idée précise du son, ça peut être rapidement casse-gueule. On peut se tromper complètement sur un album malgré soi. D’une part, il y a le stress de bien réussir son enregistrement, il y a des intervenants extérieurs et leur influence, leurs avis. Autrefois un artiste commençait à avoir un véritable univers, quelque chose d’assez fort, au bout de trois-quatre albums. Aujourd’hui, c’est vrai qu’il y a la mode du premier disque, comme il y a la mode du premier roman, les choses sont un peu différentes, c’est quelque chose qui se vend bien. C’est le deuxième album qui est plus difficile à négocier. On est aussi une génération qui maîtrise l’enregistrement, le son, l’informatique, plusieurs instruments. Finalement, les premiers albums sont déjà en quelque sorte des troisièmes albums, pas toujours, mais souvent. On a déjà fait plein de choses avant. Moi finalement, avant de faire cet album, j’ai dû faire une dizaine de maquettes de cinq ou six titres.
Et tu as senti une sorte de pression artistique, de reprise en main de la part de ta maison de disques au moment d’enregistrer ton album ?
A aucun moment, c’était la condition pour signer. Par nature, d’ailleurs je n’aime pas trop ce terme, par expérience plutôt, j’aime bien tout contrôler, je préfère me gourer que d’avoir à assumer le choix d’un autre. Au départ, la seule erreur que j’ai faite, c’est de vouloir aller à ICP à Bruxelles. C’est vrai que je me suis planté. Je ne contrôlais plus rien. L’ingénieur du son n’écoutait pas du tout les désirs que j’avais, voire me méprisais. Et puis le cadre n’était pas du tout propice à ce que je me retrouve, à ce que je trouve une sorte d’intimité. Ca a été une première et une douloureuse expérience qui aurait pu se solder par un échec. Je pense que si l’album qui a été enregistré à Bruxelles était sorti, on n’en aurait pas beaucoup parlé, parce que c’était franchement très très mauvais, complètement aseptisé. C’étaient les mêmes chansons, mais quand tout est un peu fade, quand il n’y a pas du tout de nuances, on écoute un ensemble sonore, on n’écoute même plus la composition, même plus le texte. En tout cas, moi je ne m’y retrouvais pas. Quand je suis revenu à Paris avec ça sous les bras, et que j’ai dit à la maison de disques que je ne voulais pas le sortir comme ça, ou qu’alors ils le sortiraient sans moi, que je ne l’assumerais pas…
Tout était prêt ?
Ah oui, on avait même fait le mixage. Je leur ai proposé une solution de repli, en leur proposant de partir le refaire avec les moyens du bord. Par contre, ils m’ont permis de faire le mixage dans un studio à Paris, avec un ingénieur du son, ce qui était important. Sinon j’ai tout refait en re-enregistrant les batteries. C’était assez douloureux d’ailleurs, car j’étais forcé de ne pas garder des parties de batterie enregistrées par Pete Thomas, que j’aimais beaucoup, à cause de la prise du son qui n’était pas du tout adaptée au projet. J’ai pu garder surtout des cuivres, des cordes, parce qu’on ne pouvait pas faire revenir les gens, c’est une aventure économique aussi, un album. Je suis quand même surpris d’avoir eu suffisamment confiance en moi pour pouvoir repartir et tout refaire. De toute façon, je n’avais pas le choix, ce qu’on avait fait était trop mauvais. Finalement, ça a été une libération, je me suis vraiment retrouvé, c’était comme avant, comme quand je faisais les maquettes. Il n’y avait personne qui me regardait, j’enregistrais quand je voulais, la nuit, je refaisais les prises quinze fois si je voulais. Il y a eu quelque chose de magique, une sorte de renaissance. Et même au mixage, j’ai choisi la couleur que je voulais jusqu’à la dernière note. Bien sûr, avec le recul, il y a des choses que je ferais différemment, c’est normal, mais en tout cas, sur l’instant, à aucun moment je ne me suis senti bridé.
Depuis le mixage, tu as eu beaucoup d’expériences scéniques avec ces titres-là…
Oui, on avait déjà fait de la scène avant, mais ce n’était pas avec le même répertoire. Et puis c’est différent, à partir du moment où l’album est sorti. Le fait de défendre un album, malgré tout, ça devient une pression économique. L’enregistrement du deuxième album va dépendre du succès du premier. Même si on n’y pense pas, on y pense quand même toujours un minimum. Et puis j’ai toujours écrit des chansons pour moi, tout simplement parce que j’aimais en écrire. On n’imagine pas que ça puisse être commercialisé avant que ce le soit. Alors un premier concert avec ces chansons, on a une carte à jouer, les gens nous attendent au tournant, c’est une grosse pression.
A suivre…
Propos recueillis par Guillaume Sautereau