Parmi tous les artistes dont la musique nous est parvenue en provenance du Canada ces dernières années (the Unicorns, Buck 65, the Dears, Arcade Fire…), ceux rassemblés sous la bannière du label de Toronto Arts & Crafts ont vite fait leur trou. Après le somptueux « You Forgot It In People » de Broken Social Scene et leurs prestations scéniques déconcertantes l’an passé, nous est arrivé le très bel album d’Apostle of Hustle, tandis que cartonnait Feist, signée en Europe sur une major mais proche du label. A la veille d’un concert de cette dernière à la Cigale accompagnée d’Apostle of Hustle en première partie, Jeffrey Remedios, fondateur du label a accepté de nous présenter sa petite famille.
C’est toi qui as fondé Arts & Crafts ?
Oui, c’est moi. Je travaillais pour une major, et je connaissais les gars de Broken Social Scene, principalement Kevin Drew, le leader. Je travaillais pour une major, mais j’avais des très idées très arrêtées sur la façon dont il fallait gérer un label, ce qu’il fallait y mettre. J’avais apprécié le premier album de Broken Social Scene, et, les connaissant, je me suis retrouvé en studio alors qu’ils enregistraient « You Forgot It In, People ». Et là je leur ai dit « je vous suis ». « Je ne sais pas encore ce que ça veut dire, mais je vous suis ». A l’origine, Arts & Crafts était parti pour être une association à but non lucratif, rassemblant des designers, des réalisateurs, des musiciens, juste un nom pour connecter ces gens entre eux vis-à-vis de l’extérieur, en faire quelque chose de spécial. Kevin et moi avons décidé de lancer le label tous les deux, d’abord pour sortir les disques de Broken Social Scene et ça s’est développé à partir de ça. Je suis allé voir les gens d’EMI en leur disant que j’allais partir. Ils ont été chouettes, ils nous ont même proposé de nous aider financièrement à lancer le label. L’idée directrice, c’était que la musique soit aussi importante que le business, et qu’elle ait un réel sens artistique. C’était aussi de trouver un label pour un ami qui faisait la meilleure musique du monde, à laquelle on pensait qu’aucun autre label n’aurait pu faire justice. C’est comme ça que tout s’est développé, ça a été une progression naturelle : Brendan de Broken Social Scene jouait dans un autre groupe, Valley of the Giants, avec Sophie de Godspeed You Black Emperor, Anthony de the Shalabi Effect et Charles de Do Make Say Think, Jason Collett jouait sur scène avec Broken Social Scene… On m’a demandé récemment ce que je cherchais quand je signais un groupe. J’ai répondu : « en théorie, nous recherchons un talent éblouissant et original qui ait sous le coude un album à l’avenant. Mais en pratique, il faut que tu joues ou que tu aies joué avec Broken Social Scene ! ».
C’est l’historique du label, mais est-ce que cela veut durer, est-ce que tu envisages de signer des groupes totalement extérieurs à son entourage ?
Oui, on y pense. Depuis le début en fait. Une des choses intéressantes avec le Canada, c’est sa géographie. Nous avons la plus longue frontière non surveillée avec les Etats-Unis. De Toronto, d’où nous venons, si tu prends ta voiture et que tu conduis pendant dix heures dans n’importe quelle direction, il y a trente millions de personnes, mais vingt-six millions de ces personnes vivent de l’autre côté de la frontière. Etre un label canadien, ça n’a pas de sens. Pourquoi penser à Vancouver ou à une autre ville de l’ouest du Canada quand tu peux aller à New York, Chicago ou Washington beaucoup plus facilement. Donc dès le début, nous avons voulu monter un label nord-américain plutôt que canadien, négocier nos contrats à l’échelle du continent. Nous recrutons aussi nos groupes dans toute l’Amérique du Nord, avec les mêmes règles que celles qui ont prévalu jusqu’à présent, il faut que la musique soit géniale. On a des pistes en ce moment, mais on tient aussi à rester concentré sur nos artistes actuels, Notre taille reste modeste, nous ne pouvons travailler que quelques disques à la fois. Nous gardons toujours cette contrainte en tête. Quand nous aurons un peu grandi, nous pourrons travailler plus de disques, développer plus d’artistes. Nous le ferons quand cela aura du sens.
Quand on pense « collectif canadien », on pense à Constellation et à ses groupes. Pour vous, est-ce que cela été un modèle ou un contraire un exemple à ne pas suivre ? ou rien de tout cela ?
Je pense qu’on est comparable dans la mesure où comme nous, ils mettent leurs artistes en avant, sans que cela ne veuille dire se limiter à un groupe, à un projet, à une façon de voir les choses. Je ne sais pas si c’est spécifiquement canadien, c’est juste une évolution naturelle des choses. Les musiciens de jazz aussi jouent les uns avec les autres sans se limiter.