DESTROYER – Your Blues
(Talitres/Chronowax)
Daniel Bejar écrit des chansons très personnelles et passablement tordues, aux textes quasi impénétrables, mais les chante comme si c’était les hymnes de toute une génération. C’est ce qui rend les albums de Destroyer uniques et passionnants (même quand ils ne sont qu’à moitié réussis), ce qui peut aussi expliquer pourquoi ce projet solo sous nom de groupe – Bejar collabore par ailleurs avec les excellents New Pornographers – n’a recueilli jusqu’ici qu’un succès d’estime.
On doute fortement que "Your Blues" fasse du Canadien une star interplanétaire, mais reconnaissons tout de même que ce nouvel album est nettement plus digeste que sa livraison de l’année dernière, "This Night", où quelques morceaux magnifiques peinaient à s’extraire d’un disque trop long, emphatique et boursouflé. Ici, Bejar s’en tient à une durée de trois quarts d’heure et des poussières (comme sur "Streethawk : A Seduction", paru en 2002) et présente une musique mise au régime sec : il en a enregistré seul l’essentiel, avec pour tous bagages sa voix toujours aussi maniérée, exaltée et théâtrale, une guitare acoustique, un peu de batterie et, surtout, des synthés aux noms barbares, qui vous reproduisent un orchestre symphonique pour beaucoup moins cher qu’un vrai.
Au départ, ça surprend un peu (euh, il a samplé Rondo Veneziano, ou quoi ?), mais une fois le vernis synthétique et les inévitables relents eighties dissipés, on n’entend plus que la sereine beauté des mélodies et l’extrême pertinence des arrangements. Nettement moins glam que les deux disques précédents, "Your Blues" est parfois proche des Magnetic Fields ou des premiers Pulp fauchés, rappelle ailleurs les meilleurs moments des Auteurs ("It’s Gonna Take an Airplane") ou une version Bontempi des merveilleux Band of Holy Joy, et donne même envie, quand l’écho s’en mêle sur le morceau-titre, de ressortir ses vieux Durutti Column. Cette fois-ci, Bejar ne s’est pas fait dévorer par sa créature ; sans perdre son goût de la démesure, du gongorisme et de la citation (les premières lignes de "Always on my mind", succès d’Elvis puis des Pet Shop Boys, sur "New Ways of Living", ou un "There is a light and it goes out" clin d’œil aux Smiths sur "What Road"), il cherche moins à se cacher derrière des audaces baroques, ose les émotions simples, jusqu’à un final dépouillé et bouleversant. Pour les profanes, une introduction idéale à son univers. Pour les convertis, l’aboutissement (mais sûrement pas la fin) d’un parcours exigeant, qui mériterait de quitter enfin l’ombre pour la lumière.
Vincent
Notorious Lightning
It’s Gonna Take an Airplane
An Actor’s Revenge
The Music Lovers
From Oakland to Warsaw
Your Blues
New Ways of Living
Don’t Become the Thing You Hated
Mad Foxes
The Fox and the Hound
What Road
Certain Things You Ought to Know