DANIEL DARC – "Crèvecoeur"
(Water Music / Mercury) – [site] – acheter ce disque
Voilà quelqu’un qu’on n’a pas envie de taper dans le dos ou d’appeler Dédé, quelqu’un avec qui la familiarité n’est pas de mise (même si les refrains de Taxi Girl sont gravés dans nos mémoires), quelqu’un qui n’affiche pourtant aucune forme de distance hautaine, et surtout pas dans ce nouveau disque, retour inespéré, humble et pudique, d’un enfant prodigue et brûlé. Il y a bien cette mythologie du survivant qui lui colle à la peau et le fait considérer de loin, avec un mélange ambigu de fascination et d’inquiétude. Mais le sieur, effectivement revenu de tout, a l’intelligence de ne plus faire vibrer la seule corde de la survie et propose dans son nouvel opus d’étonnants contrepoints à la noirceur, sur le mode mineur de la douce nostalgie ("Je me souviens, je me rappelle") ou de la déclamation paisible ("Psaume 23"). Fortement épaulé par Frédéric Lo qui, à la composition, a su faire des merveilles, utiliser des claviers vintage et des programmations sonores qui rendent vive la mémoire de Taxi-Girl, y mêler des accords de guitare, de clavecin, de flûte, des samples à la fois osés et évidents, Daniel Darc donne le meilleur de lui-même. Il assume, avec une évidente simplicité de manières, un bagage musical particulièrement riche (les accents baroques, le rock des Kinks, l’intensité dramatique de John Barry) et se révèle, dans l’usage de la voix et l’écriture des textes, l’héritier le plus inspiré de Gainsbourg : entre les grandes tendances filiales qui se partagent en France cet héritage encombrant, les Gainsbourgeois (arrangements classieux pour textes désespérés, écriture au service des dames, Biolay en porte étendard) et les Gainsbarrés (le verbe cru, la verve éthylique, Miossec en figure de proue), Daniel Darc a choisi une voie médiane, plus difficile et personnelle, alliant le phrasé parlé à l’élégance coupante des textes ("Il est dangereux de se pencher au-dedans. Les robes de mariées sont maculées de sang"), l’inspiration littéraire à la dévotion amoureuse. Il l’enrichit aussi de nuances qui n’appartiennent qu’à lui et rendent ce disque absolument singulier dans le paysage musical actuel : une voix restée juvénile, une inspiration chrétienne rongée par le doute, une mémoire hantée par le sentiment du désastre. A l’écouter, à lire les superlatifs qui accompagnent la sortie du disque, on a envie d’une attitude plus humble. Remercier puis se taire.
David
A lire également, sur Daniel Darc
la chronique de « Amours Suprêmes » (2008)
La pluie qui tombe
La main au cœur
Rouge rose
Élégie #2
Inutile et hors d’usage
Je me souviens, je me rappelle
Un peu c’est tout
Mes amis (tour à tour)
Si tu vas là-bas
Et quel crime ?
Jamais, jamais
Psaume 23