BLUR – Le Bataclan, 19 mai 2003
Passé une première partie afro-jazz un rien fastidieuse, même quand Damon Albarn, en bon prince, vient épauler les musiciens sur un dernier morceau, le pouls de l’auditeur moyen commence à s’affoler à l’apparition du trio, accompagné pour la circonstance par la dernière recrue, Simon Tong (ancien guitariste de The Verve), ainsi que par un programmateur de machines, un percussionniste et trois choristes. Le dispositif est censé permettre au groupe de déployer au mieux les possibilités offertes par les multiples identités musicales du groupe (machine à tubes brit-pop, néo-punk à tendance grunge plutôt lourde, post-rock aléatoire sous influence africaine, etc.), et l’on ne peut que constater son incroyable efficacité : pendant un peu moins d’une heure et demie, tel un juke-box trépidant et cyclothymique, le groupe enchaîne dans une grande maîtrise de l’alternance tension / détente les morceaux les plus fameux de son répertoire, des inévitables "Beetlebum", "Girls & Boys" ou "Song 2" jusqu’aux plages belles et bizarres du récent "Think Tank" qui, derrière l’évidence apaisée d’un "Out of time", laissent affleurer bien des reliefs incertains. Albarn, en dandy négligé (comment tenir le costume le plus longtemps possible malgré la transpiration) et sûr de lui (comment descendre à la fosse dès le troisième morceau), assure une prestation égotiste tout à fait convaincante. Par moments, physiquement et vocalement, il ressemble à un hybride réussi de Strummer et de Bowie, volant à l’un le phrasé rageur et chaloupé, à l’autre la puissance et l’ambiguïté vocales ; le reste du temps, il est tout simplement lui-même, chanteur excellent, dans le murmure comme dans l’éclat, et show-man tout à fait présentable. Au final, après un set qui délaie parfois le propos avenant et décalé du nouveau disque dans un tir nourri de tubes, après un rappel un peu rentre-dedans, on ne peut s’empêcher de penser que ce groupe, pourtant bien établi, est encore étrangement soucieux de son jeune public, de la dose de vitamines et de rafraîchissements (Albarn asperge régulièrement d’eau les premiers rangs) qui lui paraît indispensable, et qu’il défend encore timidement ses divagations musicales récentes. Pourtant, depuis "13", il semble évident que Blur n’est jamais plus passionnant que dans la prise de risques, le doute, l’ouverture de son monde au risque du chaos et de la fragilité, jamais plus prévisible, voire ennuyeux, que dans l’assurance de sa fougue, de ses mélodies et de ses guitares. Tout à la fois ravi par un set bien mené et désireux d’un je-ne-sais-quoi de différent, on peut espérer que la suite de l’aventure scénique permettra au groupe de continuer à ouvrir des béances dans son mur du son et qu’il essaiera de tirer son show bien rodé vers l’expérience musicale.
David