PROGRAMME – L’enfer Tiède
(Lithium / Virgin)
An 2000, Arnaud Michniak et Damien Bétous portent un sérieux coup de boutoir à la scène française puis nous laissent orphelin de "mon cerveau dans ma bouche", premier album dont les déflagrations se font encore ressentir aujourd’hui. Avec l’apocalyptique "L’enfer tiède", non seulement Programme récidive mais ravive les plaies laissées béantes par ce premier album. Il est bien loin le temps où le Toulousain Arnaud Michniak balbutiait grammaire pop et poses rock au sein des défunts Diabologum : toutes traces de mélodies acidulées et de chants hésitants ont disparu.
En dépit de la mise en garde d’un concert à haute tension au Nouveau Casino, Programme avait omis de nous préciser que ce terrorisme verbal serait d’une telle aigreur sur disque. Le concert avait donné un aperçu de ce que serait ce nouvel album, mais force est de constater que bien que ne restituant pas l’énergie de la scène, le disque pousse à la révolte. Dire que les tièdes ne l’emporteront pas au paradis relève de l’euphémisme. Le malaise à l’écoute de ce virulent deuxième album finit par générer un indescriptible sentiment de colère. Les visages blêmissent, les questions fusent et le talent de parolier d’Arnaud Michniak ne fait plus aucun doute. Programme crache littéralement au visage des scribes mitigés et autres lâches qui se boucheront les oreilles ou feront mine de ne pas entendre. Trop vulnérables à cette encre noire qui leur est destiné, ils préfèreront taire l’évènement. Celui d’un groupe qui s’adresse aux gens. Dès lors il ne reste plus qu’à accompagner les Toulousains dans cette guerre ouverte contre la médiocrité. Pamphlet brut et sans artifice aucun, "L’enfer tiède" constitue un terrifiant manifeste. Noire et opaque, la rage du duo jusqu’alors insidieuse explose, irradie la conscience et les mots de Programme de rôder, d’attendre le bon moment pour sauter à la gorge de l’auditeur. Le groupe a franchi un cap. La palpitante incarnation du texte et la plus grande cohésion de cet audacieux assemblage sonore donne les lettres de noblesses à cet album qu’il ne faut rater sous aucun prétexte.
"Il y a", titre d’ouverture de cet album aussi sombre et torturé que pouvait l’être le précédent constitue à lui seul tout un programme. Avions assourdissants, cinglantes incantations, réverbérations lointaines instaurent un climat oppressant dont on ne ressortira pas indemne.
Le groupe marie sarcasmes et phrases assassines avec la virtuosité d’une Sarah Kane dans Psychose 4h48. Même flots arides et ininterrompus. Même perfide désespoir. Même ébranlement des sens. Programme réclame lui aussi une vie décente : Arnaud Michniak ne chante pas, ne hurle pas, mais profère. Le français devient une langue d’où sourd une colère impossible à tempérer. Nul apitoiement, aucune complaisance n’obstruent ni n’entravent l’avancée du programme. Prose chaotique et boîtes à rythmes épileptiques sont ici érigées en maître à penser comme sur le répétitif "N’importe quoi pour n’importe qui" que ne renierait pas Atari Teenage Riot. La peau suinte la haine, le dégoût de soi, la fatale honte. De celle qui contamine l’auditeur d’oser écouter sans pouvoir répondre à l’appel d’une ville qui disparaît. La gorge nouée, les bras ballants, on subit les assauts de ce disque qui somme la vie de mettre un terme à ses hypocrisies. L’éblouissant final "Et la ville disparaît" enfonce le clou et fera taire les détracteurs d’un groupe jugé comme caricatural et sans intérêt. Boucles de guitares et nappes de saxophones s’entremêlent, forment un mur du son sur lequel vient se déposer l’amertume d’Arnaud Michniak auquel on souhaite un destin plus heureux que celui de la dramaturge britannique.
Philippe
Il y a
Une vie
N’importe quoi pour n’importe qui
C’est bien
Cette page d’histoire
Entre deux feux
Le sort
Et la ville disparaît