THE RESIDENTS – Salle des congrès du Palais de la culture, Varsovie, 9/09/2001.
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Longtemps rarissimes sur scène, les mythiques Residents le sont un peu moins depuis quelques années. En 1999, les hommes à tête de globe avaient présenté dans quelques villes d’Europe (dont Lyon et Paris) un spectacle totalement inédit tiré du concept-album "Wormwood", où ils revisitaient à leur manière l’Ancien et le Nouveau Testament. Deux ans et quelques mois plus tard, les voilà déjà de retour pour une tournée "best of" (enfin, ce n’est certainement pas le terme qu’ils emploieraient…) accompagnant cette fois-ci un DVD, "Icky Fix". Ce recueil rétrospectif présente une sélection de leurs vidéos, courts métrages d’animation et autres créations pour CD-rom, pour la plupart introuvables et invisibles depuis des lustres.
Je n’en mettrais pas ma main au feu, mais je crois bien que le groupe se produisait pour la première fois en Pologne, pays longtemps tenu à l’écart des tournées de groupes occidentaux (encore rares, d’ailleurs). Ce concert organisé par le distributeur polonais de leur back-catalogue, Gustaff Records, était donc un double événement, accueilli par une salle bien pleine (à vue de nez, de 1000 à 1500 personnes) malgré des places vendues entre 130 et 170 F. L’occasion de constater que les Residents, où qu’ils jouent, attirent toujours le même type de public : d’anciens étudiants des Beaux-Arts et la totalité des disquaires indépendants de la ville, avec une moyenne d’âge plutôt élevée – certains portaient des T-shirts à l’effigie du groupe vieux d’au moins vingt ans et quelques-uns étient même venus en famille.
Après une heure et demi d’attente de plus en plus insupportable (malgré les étranges mélopées arabisantes s’échappant des enceintes), un homme en smoking et globe oculaire arrive enfin sur scène et sort une télécommande de sa veste tandis que les premiers rangs le flashent comme à Cannes. Sur une toile tendue au-dessus de lui se met à défiler, en vidéoprojection, le menu du DVD "Icky fix". On commence à se demander si l’on n’est pas en train d’assister à une démonstration multimédia plutôt qu’à un concert, quand les "vrais" Residents arrivent enfin. Ils sont six en tout (et non quatre comme sur tous leurs visuels) : quatre musiciens qui ont échangé leurs globes habituels pour des masques noirs à la Darth Vador, dotés de lampes genre mineur ou spéléo, et qui jouent derrière des espèces d’écrans de gaze ; un "chanteur" qui porte habituellement un énorme crâne (d’où son nom de Mr. Skull), remplacé ici par une sorte de masque dogon sur lequel auraient poussé de petites boules blanches ; et enfin une chanteuse vêtue d’habits phosphorescents, les yeux cachés par des lunettes de soleil. Bref, ce n’est pas encore ce soir-là que l’on verra le visage des Residents, qui font passer les deux Daft Punk pour d’aimables dilettantes (et je préfère ne pas comparer l’intérêt de leurs musiques respectives).
Si les images du DVD défilent au-dessus d’eux, obligeant les musiciens à respecter scrupuleusement le minutage des vidéos (puisqu’ils en interprètent en quelque sorte la bande-son), ceux-ci ne sont pas venus faire du playback. Les échanges entre Mr. Skull et son alter ego féminin sont toujours aussi indescriptibles – plus proches d’un happening théâtral que d’un jeu de scène rock classique – et la musique mêlant guitare au jeu déstructuré, électronique oppressante et clins d’œil à la musique militaire américaine ou à Kurt Weill, d’une bizarrerie décidément inépuisable (car s’appuyant sur une grande virtuosité instrumentale). Le groupe sait aussi se jouer des contraintes du DVD. Ainsi, le retour au menu après chaque vidéo est l’occasion d’un petit suspense : des quatre ou six morceaux qui s’affichent, lequel vont-ils jouer cette fois-ci ? En fait, ils les interpréteront presque tous, de "Third Reich’n’Roll" (ou l’industrie de la pop-musique comparée à la propagande nazie) aux chansons d’une minute du "Commercial album", en passant par "Hello skinny", les longues suites "Bad day", "Gingerbread man" ou "Vileness fats", et même un morceau de Renaldo and the Loaf (groupe qu’ils avaient signé sur leur label Ralph Records). Un résumé un peu court – une heure et demie, dont un rappel d’un quart d’heure sans les images du DVD -, mais dont chaque minute rappelait à quel point les Residents sont uniques. On pensait en tout cas, en quittant la Salle des congrès ce dimanche, qu’on ne reverrait pas de sitôt quelque chose d’aussi hallucinant. Hélas, deux jours plus tard, on allait être détrompé d’une façon atroce.
Vincent