DEPECHE MODE – Tory Wyscigow Konnych de Sluzew, Varsovie, 2/09/01
Au départ, je n’avais pas du tout l’intention d’aller voir Depeche Mode dans un hippodrome. Et puis, en apprenant quelques jours avant le concert que les places n’étaient qu’à 70 zlotys (120 F environ), je me suis laissé tenter. J’ignore d’ailleurs à qui l’on devait cette relative clémence tarifaire – à titre de comparaison, dans une salle de taille moyenne, Placebo demandait 80 zlotys et Tricky, 90 : des prix équivalents à ceux pratiqués en France, où les salaires ne sont pas vraiment les mêmes qu’en Pologne. Les jeunes fans nés à l’époque des hits mid-eighties du groupe, en principe les plus impécunieux, auront en tout cas apprécié.
Je ne sais pas non plus qui a eu l’idée saugrenue de faire jouer le groupe en plein air un 2 septembre, qui correspond déjà en Pologne au milieu de l’automne. La pluie, heureusement pas trop violente, s’est ainsi abattue sur les spectateurs pendant les deux tiers du concert. Il faut dire aussi que Technique (?), groupe electro-pop anodin assurant la première partie, chantait "The sun don’t shine no more", ce qui n’a rien arrangé.
On attendait donc de Depeche Mode qu’ils nous fassent oublier la pluie, la boue, la queue à l’entrée, la présence policière digne d’un G8, l’insignifiante première partie – pourquoi Varsovie n’a-t-elle pas eu droit aux revenants Fad Gadget ? – et l’éloignement de la scène (pour ceux qui n’avaient pas voulu faire un sit-in dès 17 h 30). Ils y ont parfaitement réussi. Un peu avant 21 heures, la magnifique electro abstraite qui s’échappait des colonnes de sonorisation s’éteint, bientôt remplacée par l’intro de "Dream on". Et seulement l’intro : le morceau complet sera en fait joué un peu plus tard, le groupe préférant commencer par le martial "The Dead of night". Vêtu de son habituel costume noir rayé de mac, Dave Gahan est en pleine forme et très en voix. Martin Gore a opté, lui, pour un ensemble blanc flashy à plumes très camp. Comme d’hab’, Andrew Fletcher, en tee-shirt et lunettes noirs, fait tapisserie. Il y a aussi un batteur et un synthé anonymes, ainsi que deux choristes noires dont les interventions sobres et parcimonieuses viennent ajouter un supplément de "soul" (au sens premier du terme) à la plupart des morceaux.
Le son est clair, précis, puissant ; le volume raisonnable, même à quelques mètres des enceintes (sauf quand Gahan éructe). Le groupe joue deux bons tiers d’ "Exciter", et quelques morceaux des albums précédents : "Home", "In my room", "Walking in my shoes" (d’une ampleur étourdissante) … Le chef-d’œuvre "Violator" est représenté par "Personal Jesus", "Enjoy the silence" et le toujours tétanisant "Clean". Dommage pour les immenses "World in my eyes" et "Policy of truth". Des morceaux un peu mineurs comme "I feel", "It’s no good" ou "I feel loved" prennent un relief remarquable. Gahan est impeccable dans le genre rock-star débauchée, torse-poil, brandissant le pied de micro à bout de bras, toujours à la limite du ridicule et de l’excès sans jamais y tomber. Gore, qui chante quatre ou cinq morceaux, est un peu son double inversé, renvoyant la lumière quand l’autre semble l’absorber et en tirer son énergie. Creusant des brèches bienvenues dans un "wall of sound" presque étouffant, ses interprétationsvibrantes de quelques-unes de ses plus belles mélodies consitituent sans doute les acmés du concert. Qui se clôt par les deux seules concessions aux années 80 : "Black celebration" et "Never let me down", vieux souvenirs des années lycée qui trouvent ici une nouvelle jeunesse. Depeche Mode, New Order, REM, Nick Cave… On peut enfin écouter du rock de quadras sans avoir honte.
Vincent