Avant Viet Cong, il y avait Women, groupe de Calgary composé de Christopher Reimer à la guitare, de Michael Wallace à la batterie et des frères Flegel, Matthew à la basse et Patrick à la guitare et au chant. Ils avaient enregistré deux albums, « Women » dont nous vous parlions en 2008, produit par leur compatriote Chad Van Gaalen, puis « Public Strain » en 2010, tous deux au catalogue de Jagjaguwar Records. Des évènements sombres ont rapidement mis un terme à l’existence du groupe, une bagarre entre ses membres puis la mort dans son sommeil de Christophe Reimer (également musicien pour The Dodos, dont le disque solo « The Chad Tape » est sorti de façon posthume). C’est donc sur les cendres de Women que Viet Cong s’est forgé, reprenant la section rythmique composée de Mike Wallace à la batterie et Matt Flegel à la basse et au chant, s’adjoignant les deux guitaristes Daniel Christiansen et Scott Munro, également aux claviers.
Une première cassette de démos intitulée « Cassette » (logique), avait été publiée par leurs soins puis rééditée par Mexican Summer (Kemado Records) mais c’est assez naturellement sur le label de Women que le groupe sort en 2015 son second album sobrement intitulé « Viet Cong ». Difficile de parler d’EP et de LP car les disques contiennent tous deux sept pistes et n’excèdent pas une trentaine de minutes. A l’image des deux réalisations de Women, on alterne entre plages psychédéliques dominantes sur « Cassette » et sonorités noise récurrentes sur « Viet Cong ». Si le groupe reprenait Bauhaus avec « Dark Entries » sur « Cassette », c’est plutôt de This Heat qu’il se revendique dans ses aspirations bruitistes. « Select Your Drone » qui clôture « Cassette » est comme poursuivi par « Newspaper Spoon » qui ouvre « Viet Cong », pas forcément les titres les plus accessibles pour pénétrer dans l’univers post-punk du groupe. Pour cela il y a « Continental Shelf », qui est à « Viet Cong » ce que « Unconscious Melody » est à « Cassette », titre qui tombe sous le sens du single. Il donne aussi le ton pour chaque album, « Viet Cong » étant globalement plus froid, plus sombre. Ce qui met tout le monde d’accord avec Viet Cong, c’est leur faculté à digérer leurs influences, des années 70 à nos jours, pour en restituer autre chose non pas titre à titre mais dans un même morceau. Ainsi, « March of Progress« , tel un éloge funèbre, est introduit par une lourde batterie pendant près de trois minutes. S’ensuivent des guitares réverbérées lancinantes qui marquent le début des paroles pour à nouveau voir la structure du morceau s’accélérer aux deux tiers. Viet Cong fait du trois-en-un, des va-et-vient provoquant des réactions jubilatoires et extatiques.
De passage au Point Ephémère pour leur première date française de cette tournée, les Canadiens sont pour le moins attendus. Ecouter et voir jouer Viet Cong, c’est soumettre son corps à un marathon, une course contre soi-même dont on ne ressort pas indemne. « Bunker Buster« , comme un dialogue entre basse et batterie, permet d’apprécier la connivence entre les ex-Women Flegel et Wallace. Bémol, la voix caméléon de Flegel, tantôt Bowie (« Unconscious Melody », « Oxygen Feed« ), Paul Banks (« Continental Shelf », « Silhouettes« ) ou Ariel Pink (« Pointless Experience« ) est faiblement audible. Sur scène, le côté psychédélique que l’on entend sur « Static Wall » s’évapore des guitares de Munro et Christiansen, qui gratte comme un épileptique à en faire céder ses cordes. On flirte majoritairement avec Sonic Youth sur « Death« , longue plage de onze minutes qui referme l’album et le concert, aucun rappel possible après cela. Nous sommes K.O. et comme sur la pochette, allons panser nos plaies ouvertes par leurs uppercuts. Le groupe revient sourire aux lèvres se prêter au jeu des dédicaces d’albums. Celui-ci est d’ores et déjà assuré d’avoir sa place au classement annuel…