Alors qu’il sort un deuxième EP (« Blend ») confirmant tout son talent, William Rézé -alias Thylacine- nous avait accordé un entretien à l’automne dernier dans lequel il évoquait ses débuts intuitifs dans le petit monde de l’électro et de la house. Depuis le garçon a été invité un peu partout (clubs, festivals emblématiques, performances d’art contemporain) et impose désormais sa patte sur les dancefloors hexagonaux. Du phénomène à la valeur sûre, il n’y a qu’un pas de danse…
Tu es tout jeune, depuis combien de temps joues-tu de la musique ?
Ça fait longtemps que je baigne dans la musique car j’ai fait le conservatoire et j’ai joué dans plein de groupes. Sous le nom de Thylacine ça fait deux ans. J’ai commencé les concerts en novembre 2012 et tout s’est accéléré en mars 2013 à partir de la rencontre avec mon manager. Avant j’ai passé un an à , maîtriser le logiciel, à composer et à sortir des choses qui me plaisaient vraiment.
Ta formation musicale est plutôt classique…
Oui j’ai une formation au conservatoire de saxophoniste classique et jazz. Ensuite j’ai joué dans plusieurs groupes qui n’avaient rien à avoir avec la musique électronique.
Pourquoi avoir opéré un tel virage à 180° ?
Je voulais créer ma propre musique sans en référer à un groupe. Du coup, en bossant tout seul je suis venu à la musique électronique qui est le medium adapté à cette situation. C’est venu assez naturellement même si, à la base, je n’ai pas une grosse culture électro.
Tu t’es mis à composer sans aucune référence dans le domaine ?
Non aucune. Au départ c’était hyper intuitif, je ne savais pas du tout quelle direction je prenais. Je me foutais des genres, le projet s’est précisé au fur et à mesure des compositions et des connaissances que j’accumulais. J’ai commencé à m’intéresser à la musique électronique de près et à lire pas mal d’ouvrages sur le sujet.
Es-tu toujours dans une démarche intuitive ou as-tu passé un cap par rapport à tes débuts ?
Un peu moins car maintenant je commence à savoir de quoi je parle. Ce qui fait l’intérêt de ma démarche de composition c’est que j’ai conservé mon approche classique. Je ne suis pas du tout un DJ, je ne colle pas des boucles et des samples.
Peux-tu être plus précis ?
J’utilise le logiciel Logic Pro qui propose une façon de composer linéaire. Je me sers beaucoup des harmoniques. Je me suis aussi beaucoup intéressé aux compositeurs contemporains de musiques sérielles come Steve Reich, et Philip Glass qui font de la musique répétitive harmonique. Mon approche est aussi très rythmique, je n’utilise jamais de samples pour les rythmes. Je possède des petites percus et des machines rythmiques que j’utilise avec les doigts. Je prends le temps d’avoir mes propres sons de percussions ce qui donne une couleur particulière à mes morceaux.
Te considères-tu davantage comme un musicien ou comme un producteur ?
Un peu entre les deux. A la base je me sens vraiment musicien compositeur mais pas chanteur (j’ajoute les voix des autres quand j’ai besoin). Mais j’aime bien aussi le métier de producteur qui permet de bosser avec d’autres personnes de façon partenariale. J’ai plusieurs projets de collaboration en cours qui se concrétiseront ou pas. On verra…
Initialement tu as collaboré avec cette chanteuse, Camille Desprès ?
Oui, nous avons travaillé ensemble sur le premier EP que j’ai sorti de manière très intuitive. Du coup, elle me suit sur quelques concerts quand elle est disponible. Mais il n’y a rien de défini sur le long terme entre nous. Et je peux aussi faire appel à d’autres chanteuses…
Et la vidéaste avec laquelle tu collabores sur scène ?
Pour le coup, il y a presque une notion de groupe avec Ludivine car elle me suit depuis le début sur mes lives. C’est une volonté de ma part de bosser l’aspect visuel des concerts. Il fallait qu’il se passe quelque chose visuellement pour enrichir la musique car je suis tout seul sur scène. Rien n’est défini à l’avance, elle réagit en live à la musique et à l’ambiance de la salle avec ses petits contrôleurs et son logiciel vidéo.
Du coup, tes sets sont-ils très écrits ou pas ?
Je travaille de plus en plus à créer des grosses plages d’impros rythmiques ou mélodiques avec mon sax. C’est ce qui est intéressant dans le live, ne pas toujours savoir ce qui va se passer et pouvoir réagir en fonction de ce que la salle me renvoie. C’est le problème avec les sets réglés au millimètre qui utilise beaucoup la vidéo, il n’y a pas de place pour l’impro. Nous, au contraire, on essaie de garder le plus de liberté possible sur scène car c’est une vraie source de plaisir et ça permet d’éviter la monotonie des concerts qui se répètent.
A quel moment t’éclates-tu le plus : chez toi en composant ou sur scène ?
A la base, c’était vraiment chez moi dans la composition mais de plus en plus, je prends mon pied en concert. Certains concerts m’ont vraiment marqué. Il y a eu des étapes clés qui m’ont donné des bonnes claques émotionnelles. Je pense à un concert à Lyon pour la Fête des Lumières, à cette soirée à l’Index pour la projection du clip en avant première lors de laquelle on avait invité toux nos fans Facebook dans un loft que j’avais loué. Ou encore au Bataclan quand j’ai fait la première partie de Crystal Fighters à l’arrache. Deux jours avant, je ne connaissais pas ce groupe et j’ai débarqué devant 900 personnes qui ne connaissaient pas ma musique. Ça s’est super bien pensé.
Comment sonnera le deuxième EP que tu prépares ?
Il sera un peu dans la lignée d’un morceau comme « Berlingot » que j’ai sorti cet été. C’est toujours un mélange entre une musique club intimiste et un truc presque pop mais pas trop. J’ai vraiment passé une étape dans ma façon de composer mes morceaux par rapport au premier EP (« Intuitive« ).
C’est-à-dire ?
Par exemple le premier morceau qui a bien marché « No Mic Stand » était un morceau un peu plus pop. J’essaie autant que possible d’éviter de rentrer dans ce créneau un peu facile. Je cherche toujours des sonorités différentes. La percussion, le côté rythmique de ma musique prend de plus en plus de place sur la mélodie.
Et dans tes concerts, le public danse ?
Oui ça danse bien et c’est ce que je recherche. J’envisage mes concerts avec une montée crescendo. C’est une musique qu’on peut écouter chez soi au calme et sur laquelle on peut danser mais pas comme on danserait en club. Et moi sur scène je danse beaucoup.
Puisque tu as acquis une culture électro express, quelles sont tes influences ou tes goûts ?
Le deuxième album de Moderat (« II ») m’a beaucoup impressionné. Sinon Jon Hopkins et Four Tet. J’écoute encore pas mal de classique, Satie par exemple. Sinon Glass et Reich m’intéressent, leur recherche abstraite sur la mélodie, le côté aléatoire…
As-tu déjà réfléchi à des passerelles avec d’autres disciplines artistiques?
J’ai déjà bossé avec une danseuse et je bosse aussi sur la création de la BO d’un film en cours de montage. J’espère aussi composer pour l’opéra, mais ça arrivera dans 10 ans. Avec la danse contemporaine, ça arrivera plus rapidement je pense. Il y a déjà eu le premier clip avec deux danseurs. Un gros projet qui m’a mobilisé tout l’été dernier avec la boîte de production « Cafard films ». On a mutualisé nos moyens qui n’étaient pas très importants. On a passé beaucoup de temps à régler la chorégraphie avec les danseurs. Malgré la faiblesse des moyens c’est aussi l’investissement en temps passé qui fait la qualité du projet final. Tout n’est pas parfait mais j’ai hâte de recommencer.
Captation live au Carmen