The Married Monk, c’est un peu comme Beethoven. Prenons les symphonies du Grand Sourd, on préfère les impaires. Pour The Married Monk, c’est l’inverse : on préfère les albums pairs comme « The Jim Side », chef d’œuvre de faux folk déviant, ou « The Belgian Kick », sur-chef d’œuvre de prog pop, injustement passé à la fosse commune des génies oubliés dans le carré de Mozart. On me rétorquera : et « R-O-C-K-Y » ? C’est leur deuxième symphonie ou leur symphonie pastorale si vous voulez, disons que j’y suis moins attaché malgré Battisti, malgré Fabio Viscogliosi, dont j’adore pourtant tout.
Disons le vite, « Headgearalienpoo », l’album du come-back improbable après un semi foireux et forain « Elephant People », est un pur chef d’œuvre, le 3e ou le 4e donc, de Christian Quermalet et de ses sbires. Si, à la première écoute, la grammaire du projet (ex groupe ?) ne semble pas avoir changé depuis « The Belgian Kick », on n’est pas pour autant dans le ressassement. Des thèmes et ambiances passés réapparaissent (« Love Commander Strikes Again », « Bomb on Blonde », « The Obnoxious Two »), certes, mais il s’agit plus de courants retraversant une œuvre charnue que de ressucées malhabiles.
Et puis ça démarre tellement fort : « Obnoxious One », avec ses claviers abstract hip hop nauséeux sur le flow anglophile de Quermalet. Le temps a passé, certes, mais l’envie de tabasser est toujours là (Mitch Pirès omniprésent, impérial et total classe, y est pour beaucoup). Le Quermalet vieillit mal et c’est génial. Qui peut encore rêver de virée sous ecstasy et d’enfumage à l’herbe, à part notre génération soupe au lait quand la relève prépubère s’enfourne des pelletées de cocaïne synthétique pendant les intercours et expérimente le coma éthylique avant l’entrée au collège ? Les promenades du côté de chez Mme Verdurin se déroulent plutôt sous la pluie acide du Mitte Berlinois, et Charlus ressemble davantage à un arrogant travelo post punk biberonné chez Loulou et Iggy. Comme toujours la musique de The Married Monk est complexe, brillante comme une boule à facettes, un peu pute aussi mais à la Hanna Schygulla.
Les claviers forment la matière principale du discours musical mais, cette fois-ci, les guitares sont peut-être un peu plus m’as-tu vu. Des guitares rock, funky minimale (« Gravity ») ou brouillonnes et punky (« The Obnoxious Two »), en tout cas très chouettes, drôles, flamboyantes ou discrètes. Ce sont elles qu’on prend plaisir à remarquer.
Amer, en colère, bien prêt à ne pas désarmer, le Quermalet se fait aussi délicat sur quelques titres, et toujours ironique, of course, sur « Mitte In the Rain » et la reprise de Dogbowl, « Bus » (avec cordes bien entrelacées façon corset vintage). Parlons aussi de la magic touch Married Monk et de leur art de la reprise : hommage qui reste vraiment un hommage (et non pas seulement une façon de faire les malins et de se mettre une partie des auditeurs dans la poche) ET aussi appropriation totale du morceau dans l’univers Monkien. Dogbowl, de l’inattendu comme toujours, et « Siamese Dreams » de The Cure, tellement The Married Monk d’avant The Married Monk.
Last but not least : les textes. Les textes de Quermalet quoi, putain ! Oh ! On n’a pas envie de les déflorer tellement c’est fin et délicat. Ce serait du vice. Mais que de trouvailles et d’esprit à l’image de ce titre d’album Carollien ! Plongez-vous dedans, il y a matière et humour. Dire qu’on croyait tout ce qu’on nous disait méchamment sur la retraite de Quermalet et de la mise au rencart définitive de The Married Monk… Quermalet et consorts nous crachent à la gueule un beau glaviot de quadra punk glam, du meilleur donc, plein de métastases présentes et surtout futures et de Gamma GT cultivés avec patience et soin dans le gras foie depuis quelques dizaines d’années.
Tenez-le-vous pour dit : The Married Monk est le meilleur groupe de rock français en activité chantant en anglais, sans accent pourri s’il vous plaît, et « Headgearalienpoo » est leur anti-bréviaire. Et notre meilleur soin anti-âge et vieillissement.