THE BATTLE OF LAND AND SEA
En début d’année, un duo de Portland, fort d’un premier album folk en guise de sésame magique, nous a assurés qu’il n’était pas vain de chercher à décrocher les étoiles. Sarah O’Shura, voix fantomatique et inspiration élégiaque, avait trouvé en Joshua Canny le guitariste qui saurait illuminer ses compositions, mais, à la fin de l’aventure de l’enregistrement, leurs chemins se sont séparés. Reste le clair-obscur dans lequel baigne leur disque, évoquant aussi bien Cat Power que Durutti Column ou Mazzy Star, et cette manière bien particulière dont le groupe y déroule ses rubans de guitare mélancolique, égrène, le souffle raréfié, quelque comptine intime, cherche dans la raréfaction des signes et la lenteur du tempo le retentissement secret du son. Sarah a accepté de lever pour nous un coin du voile qui protège cette musique de la profanation.
Comment et quand avez-vous, Joshua et toi, commencé votre collaboration musicale ?
Depuis des années, nous jouions ensemble sur un autre projet. Nous étions terriblement paresseux et il pouvait se passer des mois sans que nous ne pratiquions la musique. Ce n’est certes pas une formule terrible pour donner à sa musique de plus larges horizons. The Battle of Land and Sea est alors né de mon désir d’un projet parallèle fondé sur la recherche d’un son qui se décantait en moi depuis un certain temps. Lorsque Josh a écouté les chansons que j’avais écrites, il les a aimées et a voulu faire partie de l’aventure. Ça s’est très bien passé pendant un moment, mais je voulais vraiment travailler dur, tourner, vivre une vie musicale. Mais ce n’était pas fait pour lui, il ne voulait pas se lancer dans une tournée, ce n’était plus une simple aventure pour lui et il n’en a pas voulu. Il a quitté le groupe en septembre dernier. Tout au début, quand j’ai commencé le projet, je voulais d’autres personnes avec qui jouer sur le disque et tourner, me voilà donc revenue à la case départ.
Il y a toute une partie de l’histoire du folk américain dans ta musique, de Bob Dylan à Cat Power en passant par Mazzy Star. D’ailleurs, beaucoup de ces artistes sont sur ta page MySpace : est-ce que certaines de ces références sont plus évidentes ou profondes ?
En un sens, je me sens influencée par toutes sortes de musique, mais c’est vrai que le folk m’inspire particulièrement. J’aime écouter une chanson qui capture une atmosphère, non seulement par les mots mais aussi par le son. Je penche plutôt pour un son saturé et granuleux, c’est ce qui m’attire. J’écoute volontiers Dylan. En revanche, je ne me souviens même pas à quand remonte ma dernière écoute de Mazzy Star, mais je dois avoir l’un de leurs disques. Quant à Cat Power, je suis une fan de la première heure et des années qui ont suivi, mais moins des dernières. Désolée, Chan.
En dépit de ces influences, ta musique est à la fois simple et originale, et tout aussi difficile à décrire. Cela ressemblerait à une sorte de folk fantôme (si du moins cela veut dire quelque chose), avec quelque chose de mélancolique ou d’élégiaque. Toi, comment en parlerais-tu ?
J’aime bien l’idée de folk fantôme. Je me rappellerai la formule. La beauté et la boue semblent avoir trouvé toutes deux l’hospitalité dans ma musique. C’est une musique simple au sens où il y a seulement deux guitares et une voix, mais c’est sans doute assez différent de ce que font les gens sous cette formule. Peut-être est-ce dû au souffle sur la bande magnétique, les musiciens devraient en profiter davantage, de ce souffle.
Est-ce que tu as naturellement le goût de jouer et chanter lentement, avec délicatesse, ce qui semble être ta marque de fabrique ?
Chanter doucement, c’est juste ma manière de chanter, bénédiction ou malédiction, peu importe. Cela convient au genre de musique que je joue, et cela exprime mon point de vue. Cela ne me ferait pas passer les premières épreuves d’American Idol, pour sûr. Ici, aux States, notre étalon moyen du succès est vraiment ridicule. Je reçois parfois des demandes du genre des amis de ma famille : quand vas-tu participer à American Idol ? Demandes faites avec grand sérieux…comme si c’était ce que je recherchais. C’est on ne peut plus frustrant de voir combien les gens sont peu connaisseurs d’une musique moins commerciale. J’essaie d’éduquer mes proches et j’ai failli mourir de savoir que ma mère ne connaissait pas Tom Waits, mais bon, elle aime Midlake, c’est déjà pas mal.
Comment s’est passé l’enregistrement du disque ? Quel fut le rôle de Jacob Golden, votre producteur ?
L’enregistrement du disque s’est fait dans notre studio-maison. C’était tout à fait détendu et paisible. Je voulais vraiment capter les chansons lorsque l’atmosphère était propice. Jacob a produit et mixé et c’est un producteur fantastique, je suis donc vernie. Nous avions le niveau de confort dont nous avions besoin de façon cruciale pour nous sentir à la fois libres et fous. Nous avons eu besoin de quelques semaines pour essayer de capter des interprétations aussi organiques que possibles sur des prises entières. Une fois que mes interventions vocales et la guitare étaient dans la boîte, Josh est venu ajouter ses parties de guitare en deux soirées. Jacob est la personne la plus patiente en studio que je connaisse. Cela m’impressionne de voir quelle attention il donne à chaque détail. Il ajoute le glaçage sur le haut du gâteau. Je n’avais enregistré que quelques fois auparavant et je ne peux pas dire que j’avais vraiment aimé ça. Je ne tirais jamais un son dont je pouvais être fière et je n’étais pas assez en confiance pour faire une bonne prise. Bien que la responsabilité en revenait surtout à mon inexpérience et la trop grande conscience que j’en avais, je reconnais aujourd’hui qu’un bon producteur doit mettre à l’aise et savoir comment capter une interprétation. En enregistrant à la maison, cela diminue un peu la pression. Par ailleurs, il fallait aussi s’entendre sur ce que je voulais mettre comme intention dans une chanson, et en ce sens, le fait d’avoir fait des démos avant m’a beaucoup aidée, car j’avais un plan déjà tracé. Je viens juste de déménager dans une vieille maison qui a un très grand piano, et j’ai déjà hâte d’enregistrer ici.
Comment as-tu choisi la reprise de "Harden My Heart" ? Elle est très belle, mais nous ne connaissons pas grand-chose de Quarterflash en France.
"Harden My Heart" est une chanson qui, lorsque je l’entends à la radio dans ma voiture, me donne envie de baisser la vitre, et de la mettre à fond. Je l’adore, tout simplement, par nostalgie de la période de l’été dans mon enfance. En fait, je conduisais un jour sur l’autoroute de Los Angeles, par une soirée d’été, et elle est passée à la radio, les paroles ont touché une corde sensible en moi, évoquant quelque chose de ce que je vivais à l’époque, donc j’ai décidé de la reprendre. La chanteuse a une superbe voix. Je pense que la plupart des gens la confondent avec Pat Benatar, ce qui doit être assez frustrant !
Je crois savoir que ce groupe vient comme toi de Portland. Est-ce que cette ville influence en quelque façon ta musique ?
Portland est un bon endroit pour faire de la musique. Je ne suis pas sûre de savoir à quel point cela m’influence, mais je ressens définitivement plus qu’une simple familiarité (kinship) avec le paysage des montagnes. Je dois avoir été pionnier dans une vie antérieure.
Qu’est-il arrivé à Notenuf, label qui devait sortir le disque, et comment s’est fait le passage à Mis Ojos Discos ?
Notenuf était le fruit d’une cogitation collective entre trois individus aux goûts et aux aspirations dans l’industrie musicale assez différents, tandis que Mis Ojos résulte de l’effort d’un seul des trois. C’est une maison musicale plus intime (focused).
Viendras-tu en France présenter tes chansons sur scène dans un avenir proche ?
J’espère vraiment pouvoir venir en Europe cette année, et particulièrement revenir en France. J’ai fait un concert dans un salon à Lille l’été passé, et ce fut l’un de mes shows les plus surprenants, de loin un de mes préférés. Nicolas de From Your Balcony était notre hôte : quelle atmosphère amicale et quel bon vin ! Je croise les doigts pour me faire offrir une tournée en Europe cette année.
Propos recueillis et traduits par David Larre
Vielen Dank à Erik Benndorf
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la chronique de « s/t » (2008)