Lauréate du concours Sosh-Inrocks Labs, retenue pour assurer les premières parties de Woodkid et Emilie Simon, présélectionnée pour les Inouïs du Printemps de Bourges 2015, à bientôt 27 ans, tout semble vouloir sourire à Eléonore Chomant alias Tallisker. Nous l’avons rencontrée à l’occasion de la parution de son premier EP « Implosion ».
Comment t’est venue l’idée de t’appeler Tallisker ?
A la suite d’un voyage en Ecosse avec une amie, on a décidé d’aller sur l’île de Skye. On a visité la distillerie Talisker et c’est devenu mon whisky préféré. En rentrant en France, j’avais un whisky préféré et aussi un souvenir de voyage. C’est à la fois un lieu-dit mystique et quelque chose d’enivrant, à l’image de ce que j’essaie de produire dans ma musique.
Tu alternes entre guitare et violoncelle, que tu associes aux boucles de ta voix. Tu es un peu un one woman band ?
Oui, on peut dire cela, je crois que c’est le terme, je dis souvent one man band, je ne précise pas woman. La différence est que, dans mon cas, j’enregistre les sons les uns après les autres tandis que certains one man band les enregistrent en même temps, ils ont une grosse caisse aux pieds, ils jouent de la guitare, de l’harmonica. Mais oui je peux me définir comme un one man band.
Comment t’est venue la pratique de tes instruments ?
Le violoncelle est mon premier instrument, que j’ai commencé à 8 ans jusqu’à l’âge de 13 ans en formation classique, c’était le socle de ma formation musicale. La guitare est venue après, dans mes années rock’n roll à partir de mes 15 ans. On m’a prêté une guitare électrique, je ne l’ai pas branchée sur un ampli mais sur une chaîne hifi. C’était parti pour la guitare. J’ai ressorti mon violoncelle du grenier il y a 3 ans. Je m’y suis remise très récemment en me disant que c’était dommage de gâcher cela. J’avais envie de l’utiliser d’une nouvelle façon, pas classique.
C’est un peu la rencontre entre l’enfance et l’adolescence en quelque sorte ?
Oui c’est un peu ça. C’est aussi la rencontre entre quelque chose de très féminin, la tendresse du violoncelle et la masculinité de la guitare, instrument plus volontariste. Ce sont deux univers différents, l’un traditionnel, classique, doux et l’autre un peu plus acéré, brut.
Sur scène, tu reprends « Where Do My Bluebird Fly » de The Tallest Man On Earth. Peux-tu nous parler de tes influences musicales ?
Cela va très loin, Cat Power, Shannon Wright, Björk, Meg Baird, de 15 à 20 ans, je les ai écoutées en boucle. Mais aussi Led Zeppelin, The Doors, j’ai écouté les Beatles comme tout le monde. Plus récemment, je suis beaucoup tournée vers le post rock, Mogwaï, Godspeed You! Black Emperor, Silver Mt Zion, ces groupes atmosphériques très puissants.
Des femmes seules et des groupes d’hommes finalement ?
(Rires) C’est ça, des femmes et du rock un peu audacieux. C’est ce qui revient souvent.
Tu as été parrainée par les studios du 106 (la Smac de Rouen) puis lauréate du concours Sosh-Inrocks labs. En quoi cela a été un soutien au démarrage de ta carrière ?
La première chose importante quand j’ai appris que j’étais parrainée est que cela a débloqué énormément de choses, je me sentais légitime d’être sur scène. Ce n’est pas si évident. Que ma musique soit validée par des copains qui aiment bien, c’est une chose, qu’elle soit validée par une structure professionnelle comme le 106, c’était comme me dire « tu as le droit de faire de la musique et en plus, ta musique est bien ». Donc c’était surtout une aide psychologique au départ et après on est parti loin dans des modifications techniques, de l’achat de matériel, des conseils scéniques.
Tu as assuré des premières parties d’artistes renommés (Woodkid, Émilie Simon), c’est une grande chance pour une artiste en début de carrière ?
Pour moi, en terme d’exposition, c’est « la poule aux oeufs d’or » parce que je joue devant beaucoup de monde et ce n’est finalement pas ce qui est le plus intimidant car je ne vois pas les gens. C’est très flatteur car les premières parties sont validées par les productions des artistes. C’est donc extrêmement gratifiant en terme de légitimité. Quand on arrive à garder les gens dans la salle pour une première partie, ce que j’ai réussi à faire sur ces deux dates, j’en suis très contente, c’est super motivant. Il y a le mythe de la rencontre avec l’artiste dont on fait la première partie mais je n’ai pas parlé à Woodkid et seulement quelques minutes avec Emilie Simon. Parfois, j’oubliais que j’étais en première partie de quelqu’un mais je me disais « je joue dans la grande salle du 106, peut-être qu’un jour ce sera moi mais pas en première partie ! ». On ne sait jamais…
Ton premier EP a fait l’objet d’un appel à financement participatif qui a atteint et dépassé très rapidement tes attentes. Comment l’expliques-tu ?
C’est un peu mystérieux, je suis très entourée, je ne l’explique pas encore. Quand je regarde les kissbankers, il y a des gens que je n’ai jamais rencontrés, d’Amiens, du Pays Basque, de Corse, du Canada. Il y a quelque chose d’inexplicable. En même temps, je pense que du fait d’avoir fait beaucoup de voyages, beaucoup de rencontres, beaucoup de colocations, d’avoir changé de ville trois fois (Rennes, Paris, Rouen), je connais pas mal de monde et les gens savent que la musique est très importante pour moi. Quand ils ont vu mon projet débarquer, ils ont dû se dire « Enfin, elle sort ce qu’elle a dans le ventre ». Cela fait 10 ans que mes proches me voient tourner en rond, me sentir illégitime alors maintenant que je me lance, ils me soutiennent.
Comment s’est déroulée la collaboration avec Lucas Hauchard pour la réalisation de ton premier clip « Sun » ?
J’ai complètement craqué sur son travail, ses esthétiques. Il a réalisé un film, « Goodbye Horses » et j’ai très vite vu où il voulait en venir. Il aime les symboliques, il a un oeil pour les paysages, le naturel, l’organique, qui est très beau. Du coup, j’ai vu ce qu’il faisait et je savais que c’était un artiste émergent. C’était important de collaborer avec des gens, comme moi, en développement, plutôt que de faire appel à quelqu’un de déjà installé. Il a écouté mes chansons, a trouvé ça cool. J’ai choisi l’endroit, le scénario et lui a choisi les angles de vues, les choix décisifs de montage. C’était une vraie collaboration, on a eu tous les deux notre mot à dire, y compris Adlène qui figure dans le clip.
On t’a vu tourner ici et là cette année dans des lieux insolites pour certains (La Fabrique des savoirs au milieu d’animaux empaillés, la Salle des Mariages de l’Hôtel de Ville de Rouen). Dans quel endroit surréaliste aimerais-tu jouer ?
J’aimerais jouer dans la distillerie Talisker, j’aimerais jouer sur l’île de Skye. Peut-être faire une release party d’un album ou d’un prochain EP en Ecosse, au bord de la mer, sur une falaise.
Tu reçois toujours un excellent accueil du public lors de tes concerts, comment te prépares-tu à la scène ?
J’aborde la scène avec beaucoup de difficulté. L’entre chansons est le trou noir absolu, le tourbillon de l’angoisse. Pendant les chansons, je remplis l’espace et quand ça se termine, c’est assez terrible pour moi. C’est quelque chose qu’on a travaillé entre autres avec le 106, pour trouver l’équilibre entre dire trop de choses ou pas assez et se donner le droit d’enchaîner deux chansons sans rien dire. On va faire un travail avec une metteuse en scène. Elle va me coacher pour devenir comédienne car je suis de nature extrêmement timide et je ne suis pas à l’aise avec le fait de me promouvoir. Prendre la parole devant le public me terrifie mais pas quand il s’agit de chanter. Les gens sont souvent touchés par cette fragilité, je vais essayer de prendre de l’assurance, sans changer ce que je suis. Cela crée une forme d’attachement et d’empathie de la part du public. Au delà de la musique, ce qui se dégage du personnage est aussi important lorsqu’on s’attache à un artiste.
Tu es partie en voyage au Cambodge, tu viens d’être présélectionnée pour les Inouïs du Printemps de Bourges. Quels sont tes projets de tournées au delà de la Normandie voire de la France ?
Mon rêve est de faire une petite tournée au Royaume-Uni. On a la chance d’être près du Havre et de Dieppe et de pouvoir prendre un bateau en voiture remplie de matériel et de zigzaguer au Royaume-Uni pour atteindre l’Ecosse qui est mon Saint-Graal, l’endroit de toute l’Europe où je me plais le mieux. Je n’ai pas encore joué devant un public anglophone, j’en ai très envie. Je n’ai pas encore de retour sur mes textes. Cela va être un peu un crash test. Je sais qu’il n’y a pas de fautes, cela me permettra de me rendre compte d’éventuels doubles-sens auxquels je n’ai pas pensé. On va essayer d’organiser un road-trip au printemps prochain, jouer dans des bars, pas pour gagner de l’argent mais pour gagner en expérience et en retours du public.
Adlène, que l’on voit faire une apparition dans ton premier clip « Sun », est invité à chanter avec toi sur scène. Comment vois-tu évoluer Tallisker au fil du temps, avec d’autres musiciens par exemple ?
Je préfère avoir des collaborations ponctuelles avec des invités. Je suis attachée à mon univers de nana toute seule dans sa bulle avec ses instruments et ce serait dommage de l’élargir à un batteur ou un violoncelliste. Ce serait casser l’esprit du projet. Mais cela me fait rêver d’inviter un ami sur une chanson qui viendrait poser des voix, du rap, pendant un concert. L’idée me plaît d’avoir deux ou trois invités pour amener autre chose. Ce projet est centré sur moi mais je suis très attentive à ce qui se passe autour. Je suis forcément dépendante de la scène locale. Je suis en train d’aider Adlène qui écrit ses chansons et attend que quelqu’un s’intéresse à ce qu’il fait. Je suis vraiment ouverte à des propositions de collaborations sur quelques chansons. Je ne suis pas encore prête à faire des concessions sur un album entier. Je suis en contact avec un beatboxer, un MC, un batteur. Autour de moi se forme un réseau de personnes intéressées par le projet Tallisker et moi par leur univers.
Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
De pouvoir payer mon loyer ! Je suis en train de mettre les deux pieds dans l’intermittence, donc sur le court terme, avoir un statut me permettant d’en vivre. Sur le moyen terme, avec la sortie de l’EP, être approchée par des maisons de disques, labels, éditeurs. C’est la prochaine grosse pierre à poser dans la maison Tallisker, si cela pouvait se faire en 2015, et après on verra… J’aime bien l’idée de ne pas savoir tout ce qui va se passer.
Photos : Clara Emo Dambry, Chloé, Lucas Hauchard.