Sylvain Chauveau est dans la déconstruction du format pop et propose avec Kogetsudai, le 2e volume de la trilogie initiée en 2010 avec « Singular Forms (sometimes repeated) ». « Kogetsudai » est un album qui tourne autour du silence, le rencontre parfois, mais heurte le plus souvent les pistes sonores et les mots. Heurter n’est d’ailleurs peut-être pas le mot le plus juste tant le disque, difficile par tant d’épure, coule naturellement comme une immensité, un paysage, un fleuve malgré les éléments a priori disparates qui le composent. « Kogetsudai » a été inspiré par la contemplation de jardins zen au Japon (on se souvient d’ailleurs de son rapatriement suite à l’incident de Fukushima) et c’est comme cela qu’il faut l’écouter avec une attention à la fois aiguë et relâchée, prête à l’irruption de la surprise, de l’événement coulant dans le temps. Il faut se laisser aller aux sensations provenant des différentes textures, des ruptures et essayer de les dégager de leur origine supposée (ebows, phonographies de Stéphane Garin, quelques interventions du percussionniste Steven Hess). On dit que la cuisine japonaise joue sur les goûts bien sûr mais aussi sur les textures, Chauveau reprend ce secret à sa sauce tel ce bruit blanc typique d’aspirateur sur « Dark clouds in the sand » adjoint à un son de frottement de micro de platine d’un vieux phono pendant que passent des feedbacks et que la piste vocale subit des altérations. La piste se termine sur des harmoniques, frappés comme une percu : magique.
Je regrette toujours, pour ma part, que la belle voix de Sylvain ait choisi l’anglais pour s’exprimer mais je suis à demi exaucé puisque sur le très Feldmanien « Lenta la neve », on entend un peu d’italien. D’ailleurs, c’est une raison de plus de regretter que Morton Feldman et John Cage soient décédés : leur avis sur la pop de Chauveau aurait été précieux tant on sent partout l’influence des deux maîtres zen sur ses disques.
En tout cas, la musique de Sylvain Chauveau se radicalise, s’épure toujours davantage et reste toujours passionnante pour peu qu’on prenne la (douce) peine et le temps de l’écouter. À force de gratter l’os, on peut se demander ce qui restera dans ses futurs disques. La moelle peut-être ?