RÖYKSOPP – Junior
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La frontière est parfois bien mince entre pop et soupe. Prenons Röyksopp ; à l’époque de "Melody A.M.", on baisait les quatre pieds de Svein Berge et Torbjørn Brundtland, s’inclinant devant la fraîcheur et la grâce électro de ce premier album. Röyks-POP, indeed. Puis vient "The Understanding" et là, on plongea plus bas que terre les deux Norvégiens accusés de tous les maux : lourdeur, Macumba, perte d’inspiration. Röyks-SOUPE donc.
Avec le recul et après une réécoute sous contrôle d’huissier, il apparaît que "Melody A.M." n’est en rien un jalon musical mais un disque plutôt honnête qui tient surtout grâce aux deux titres chantés par Erlend Øye – retirons les, ne resterait plus qu’une dépendance sautillante de la mini-vague chilled out avec de jolis samples, un joli son et – bâillements impromptus – bonne nuit, les petits !
En ce qui concerne "The Understanding", on ne se fera pas l’avocat du diable – il y a bien une tentative d’ouverture à d’autres rythmes mais le tout sue l’effort comme un cycliste en pleine descente d’EPO au haut du Tourmalet. Gardons toutefois en mémoire que "Only This Moment" est un excellent single, voire leur meilleur avec "Remind Me" – pour un disque censé être un échec, ce n’est déjà pas si mal.
Vient "Junior", le bienvenu petit troisième et, avec lui, le dilemme bien connu : Röyks-pop ou Roÿks-soupe ?
D’abord un constat : boutonneux et bondissant comme un adolescent en mal de rencontres, "Junior "est de loin l’album le plus propulsif de Röyksopp et le moins avare en BpM. C’est aussi un disque presque intégralement chanté, hormis deux bacs d’eaux de vaisselle, l’un hypoallergénique ("Silver Cruiser") l’autre carrément sulfurisé ("Röyksopp Forever", mi-Buddha Bar, mi Rondò Veneziano)
Venons-en aux voix et à son casting de luxe propice à la goujaterie, l’auditeur étant bien forcé de marquer ses préférences parmi toutes les sirènes convoquées.
Marraine tutélaire de Röyksopp, Anneli Drecker (option matrone éthérée) écope de trois morceaux dont un seul n’est point trop faible : nulle surprise de ce côté-ci.
Karin Dreijer, en pleine normalisation vocale, se voit privée des effets synthétiques qui la transformaient en pythie gothique sur l’album de Fever Ray. Si "This Must Be It" peine à la réinventer en Donna Summer névrosée, "Tricky Tricky" pulse en crissant comme du sable sous la dent jusqu’à un dernier tiers ambient vaseux qui aurait gagné à sympathiser avec la poubelle de mixage. Notons l’inconscient courage de Berge et Brundtland à présenter au naturel la chanteuse de The Knife : Dreijer a certes un univers musical très marqué mais son timbre anormalement aigre nous évoque plus une crécelle en voie de rouillage qu’autre chose. A ce stade de la chronique, la balance penche, dirait-on, vers le plateau Röyks-soupe et ce dangereusement s’il n’était un brelan d’as jeté à travers le disque qu’il nous revient de ramasser.
Deux des nouvelles "guest voices" livrent sans conteste les deux plus beaux morceaux de "Junior". "Miss It So Much" ne serait qu’un slow crypto-eighties à gros synthés sans la merveilleuse petite souris Lykke Li qui rappelle à notre bon souvenir tout le bien que l’on pense de son "Youth Novels" sorti l’année dernière. La grande gagnante est toutefois Robyn – honteusement sous-estimée en France – qui survolte complètement "The Girl And the Robot", bombe à fragmentation idéale pour le dance-floor ou le saut du lit certains matins brumeux. A qui sait compter, manque un titre : ce sera le slogan affiché du jour "Happy Up Here" chanté sans complexe par les maîtres de céans tout heureux dès l’ouverture de présenter d’un grand rire leur disque le plus joyeux.
On terminera par cet adage à double détente : qui a l’estomac solide trouvera Junior très Röyks-pop.
Christophe Despaux
A lire également, sur Röyksopp :
la chronique de « The Understanding » (2005)
Happy Up Here
The Girl And the Robot
Vision One
This Must Be It
Royksopp Forever
Miss It So Much
Tricky Tricky
You Don’t Have a Clue
Silver Cruiser
True to Life
It’S What I Want