Beaucoup n’ont vu en Alternative TV qu’un groupe punk ’77 culte qui, après un petit succès (“Action Time Vision”), avait ouvert trop vite la voie au post-punk avec son deuxième album. Après une tentative ratée d’intégrer le mainstream (“Strange Kicks”), l’histoire aurait pu en rester là lorsque le guitariste Alex Fergusson décida de rejoindre Genesis P. Orridge pour former Psychic TV. Mais le leader d’Alternative TV (et ancien rédacteur en chef du mythique fanzine punk “Sniffin’ Glue”), Mark Perry, n’était pas du genre à abandonner. Il est ainsi devenu le secret le mieux gardé du punk, affirmant dans les quatre décennies qui ont suivi un talent d’auteur unique. Après une longue pause discographique, Alternative TV a sorti l’excellent “Opposing Forces” en 2015. Pour la promotion de son dernier EP, “Dark Places”, le groupe a donné à Londres un de ses rares concerts, avant, on espère, d’enregistrer un nouvel album l’an prochain. Ce fut pour nous l’occasion de nous entretenir longuement avec Mark Perry, dont la parole est particulièrement rare.
Troisième partie : “You cry your tears”
Mark Perry : “Clive a rejoint le groupe quand c’était moi, Allison, et Steve Cannel à la basse, et c’était émotionnellement très chargé comme groupe. Cela l’était vraiment… parce que nous étions dans une relation, et cela faisait beaucoup, parfois limite. Mais très bon groupe en fait. Et beaucoup d’excellentes paroles à cette époque. Des titres comme ‘Let’s Sleep Now’, ‘Scandal’, ‘Animal’ et tout.”
Un des titres de l’album ‘Peep Show’ (1987) est le très intense ‘Boy Eats Girl’ qui porte un regard sombre sur les relations entre les deux sexes. En fait le nom était déjà présent sur tous les disques d’ATV dans les années 70 car la maison d’édition s’appelait Boys Eat Girls Music: “la raison pour ce nom de maison d’édition: nous pensions que c’était culotté de donner ce genre de nom provocateur, parce que vous avez d’un côté dévorer comme le cannibalisme, et puis vous avez dévorer vous savez…. l’appétit sexuel (rire). [Avec la chanson] ‘Boy Eats Girl’, je voulais écrire ce genre de chanson… de sexe ultime si vous voulez. Parce que quand j’écris au sujet du sexe, je suis audacieux. J’essaye d’être direct sur ce sujet. Ça fait parti de moi vous savez. Je veux dire, si vous écoutez les chansons, elles peuvent sembler grossières. En fait je suis tout simplement grossier. (rire) Bon, on peut l’être un peu, juste pour le plaisir! Un peu lascif, vous voyez ce que je veux dire, une partie de moi peut-être comme ça. C’est un peu puéril, c’est immature.
“Mais ce qui est aussi amusant sur ‘Peep Show’, c’est qu’Anno chante sur ‘Boy Eats Girl’, elle était chanteuse pour Here & Now, et française; elle chante sur cette chanson. Donc c’est hum…” En fait, Anno avait été amenée à chanter pour Alternative TV dès ‘79, en étant l’interprète sur le single iconique ‘The Force Is Blind’. Et elle et Mark seront plus tard ensemble. “Nous avons un enfant ensemble en fait”.
Les Françaises semblent récurrentes au sein de vos chansons, de ‘Animals’ (dans ‘Peep Show’), à l’efficace ‘French Girls’ (dans ‘Opposing Forces’), qu’est-ce que cela traduit? “J’ai toujours eu ce truc pour les Françaises; mais en fait la chanson ‘French Girls’ ça raconte deux trucs. Parce que d’un côté c’est au sujet de ce film que j’ai vu, vous savez ‘who killed the blind man, who killed the blind man, who stole the dream’ (‘qui a tué l’aveugle, qui a tué l’aveugle, qui a volé le rêve’), et tout ça vient du film que j’ai vu où cette Française était jugée pour le meurtre de l’aveugle. L’autre truc, le reste du morceau, c’est au sujet de cette Française que j’ai connue, Catherine, on avait ce genre de flirt, nous n’étions pas en couple, mais on flirtait un peu ensemble. Et nous blaguions au sujet des Françaises qui allument les Anglais, et tout. C’est plutôt une chanson amusante en fait. C’est un peu une chanson creuse, mais ouais les françaises m’ont toujours intéressées. Elles ont un truc, vous savez. Sans aucun doute.
“La chanson ‘Animal’ est très intéressante, car c’était totalement singulier. C’est un des morceaux que j’ai écrit d’une seule traite. Je pense qu’on n’a dû la jouer live que deux fois. Tout le monde était dérangé par ce morceau, même les gens du groupe. Parce que vous savez, Clive le guitariste, c’était le premier titre qu’il a joué avec nous dans le groupe. Et quand il l’a entendu il était genre… parce que Clive à l’époque réagissait de manière amusante à ce genre de choses… et quand il a entendu les paroles “oh mon Dieu, je ne devrais pas faire ça vous savez”, parce que ça enfonce, ça enfonce, c’est un de mes morceau ‘enfonce, enfonce’ vous voyez. La fin de ‘Animal’ n’est que désespoir. C’est totalement le désespoir, vraiment c’est cela. C’est du genre: où sommes-nous? Que faisons-nous? C’est horrible vous savez. C’est un morceau très puissant dans cette mesure…
“Je ne sais pas comment j’ai eu cette idée, mais l’idée que le sexe est proche de la mort, parce que c’est ainsi, n’est-ce pas? Ça peut facilement être du désespoir, ça peut être comme du dégoût de soi. Ce dégoût, ça a à voir avec les pulsions humaines. C’est comme du dégoût envers ça. C’est plutôt à nous de dépasser cela avec notre intellect ou quoi que ce soit, notre imagination, créativité. Vous avez ce dégoût, ce dégoût de soi. C’est comme dans la chanson ‘Her Dark Places’ vous savez: on essaye de reconquérir notre relation en faisant l’amour, mais au final ça ne va pas. Ce n’est pas bon, ça ne colle pas. Et alors elle attend, salie par le sperme sur son corps; ce n’est pas une bonne chose. Encore une fois, c’est mauvais. Ça m’a toujours intéressé, mais ça fait partie de mon caractère: j’aime le désespoir de tout cela. Non, vraiment j’aime le désespoir, parce qu’encore une fois, c’est ce que je disais tout à l’heure: si vous ne connaissez pas vos sombres recoins, alors vous… si vous vous les cachez, les mettez sous le tapis, alors vous serez toujours d’une certaine mesure en dehors de la réalité. Vous devez faire face à vos zones sombres, à vos démons d’une certaine manière. Vous voyez ce que je veux dire, avoir affaire à cela: la vie ce n’est pas le monde des Bisounours: c’est sombre, ça pue, ça colle, c’est toutes ces choses.
“Mais ça m’a toujours attiré, comme dans la littérature… Je suis en train de lire Albert Camus, je veux dire pas toute son œuvre, mais il y a un passage où… vous voyez ils font l’amour, et c’est le désespoir là dedans: la peinture sur les murs qui s’écaille, vous voyez tout ça… J’aime bien cette idée, vous voyez ça sent, ça colle et vous savez que ça fait partie du jeu. Et je parle toujours de cela avec des chansons comme ‘Her Dark Places’, ‘Verlust’ également.”
Who owns the dream?
“Une autre chose qui m’intéresse, je veux dire qui est présente dans pas mal de chansons, c’est vivre une vie dans sa tête. Par exemple ‘Verlust’, une de mes chansons sur le dernier EP, est au sujet d’une romance qui a lieu dans mon imaginaire. Ça ne s’est jamais vraiment produit, mais c’est au sujet d’une personne réelle, et cette aventure se passe dans mon imaginaire. J’aime ça, cette idée, que nous avons la réalité, mais aussi nous vivons notre vie dans ce genre de… presque… Nous avons la réalité, mais il y a, pas tout a fait les rêves, mais il y a… c’est difficile à dire, c’est mieux expliqué dans la chanson. Tout ces trucs là-dedans, vivent en quelque sorte dans mon imagination, cette romance, qui a débutée à l’époque d’‘Opposing Forces’ mais qui ne s’est jamais réellement produite, pour de vrai voyez-vous. C’est comme si j’étais dans une pièce de théâtre, j’ai mon imaginaire et je voyage au travers par une chanson. Les sentiments là-dedans deviennent en fait comme si je les avais vécu, avec cette personne, mais entièrement dans mon imagination; c’est le truc: c’est aussi vrai que si ça m’était arrivé, dans la mesure où cela compte pour moi. Je pense que ce que j’essaye de faire passer aux gens c’est qu’ils peuvent vivre leur vie dans leur tête.
“Beaucoup de chansons partagent cette vision des choses, que ça puisse vous arriver également. Et bien il y a ‘Death Looks Down’, ‘French Girls’, tout ce genre de trucs. Ces petites histoires, c’est comme si elles m’étaient réellement arrivées. Je pense que c’est pourquoi les chansons ont l’air aussi réaliste? Vous voyez, elles sont justes …”
Avoir une aventure au travers d’une chanson est quelques chose qui a été présent dans bien des chansons au fil des ans. En ’78 Mark a écrit une de ses meilleures chansons, ‘Fellow Sufferer’ en ayant en tête sa compagne de l’époque, Gillian Hannah, mais également une réflexion sur l’essoufflement de la vague punk: “ouais, c’est une bonne chanson. Il y a peu de chansons de mon cru que j’aime réellement, dont je pense que c’est du génie. Et je dirais que ‘Fellow Sufferer’ est une des meilleures choses que j’aie jamais faites, et c’est absolument magnifique. Je le dit moi-même (rire). Et une autre chanson que j’aime vraiment, c’est ‘The Big Ugly One’, c’est une sacrée bonne chanson. Je suis vraiment fier de ce morceau.
‘The Big Ugly One’ est un tube efficace de l’album sous-estimé ‘Dragon Love’. En 1990, après une autre séparation, Alternative TV se reforme sous la forme d’une collaboration entre Mark Perry et James Kyllo. Le tandem écrit et enregistre des chansons ensemble, parfois même avec James qui assure le chant. L’album enregistré est sorti en vinyle au sein d’un label indépendant, mais n’a pas bénéficié d’une bonne distribution ni d’une version CD. Cela reste alors un trésor perdu, toutefois deux morceaux seront réenregistrés plus tard. “Si vous prenez ‘Dragon Love’, la musique était une aventure. Je chantais comme un groupe indé, et la plupart des paroles sont très légères. Mais pour beaucoup… je n’ai pas l’impression que c’est vraiment moi, et je ne peux pas m’imaginer désormais faire une seule des chansons de cet album en particulier. Mais quand c’est bon, c’est vraiment très bon, comme sur ‘Company of Lies’”.