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Disques

Mark Eitzel – Hey Mr Ferryman

 Mark Eitzel - Hey Mr Ferryman

Le grand retour de l’ex-leader d’American Music Club, efficacement épaulé par Bernard Butler. Derrière la rondeur de la production, les gouffres habituels, mais aussi quelques notes d’espoir.

On a beau considérer Mark Eitzel comme l’une des plus grandes voix et plumes d’Amérique, les liens s’étaient quelque peu distendus depuis une bonne dizaine d’années. Les disques souvent beaux mais très introspectifs se succédaient, mal ou pas du tout distribués en France, sans véritable promotion, et l’ex-leader d’American Music Club semblait condamné à sombrer dans un anonymat dont rien ni personne ne le tirerait. D’où l’excellente surprise que constitue ce “Hey Mr Ferryman” marquant le retour du barbu dans le bacs après cinq ans d’absence, un disque à placer d’emblée parmi les sommets d’une discographie qui (en solo ou en groupe) n’en manque pas.

Vingt ans après son association avec Peter Buck de R.E.M. pour l’album “West”, Eitzel a fait appel à un autre musicien fameux, a priori un peu plus éloigné de son univers puisqu’il s’agit de Bernard Butler. Arrivé par hasard sur le projet, l’ancien guitariste de Suede s’est fortement impliqué, signant la production et jouant d’à peu près tous les instruments (on trouve aussi quelques collaborateurs de longue date dans les crédits, sans qu’on sache exactement quel fut leur apport). Un échange transatlantique qui vient rappeler que l’auteur de “Johnny Mathis’s Feet” a toujours entretenu des liens étroits avec l’Angleterre – cf. l’album “United Kingdom” d’AMC ou son live “Songs of Love” de 1991, enregistré comme cet album-ci à Londres –, généralement plus sensible à sa musique que son pays natal.

Le disque s’ouvre par un morceau vigoureux aux allures de classique instantané, “The Last Ten Years”, où Eitzel dégaine les saillies de soiffard céleste (“I always make it home/Though my house is build on sand/Buried deep under the loan”) et Butler, les solos flamboyants qui ont fait sa réputation. Souvent bâtie sur des tempos lents plus familiers, la suite du disque trouve le juste équilibre entre la production parfois surchargée d’American Music Club et le ton très intimiste, pouvant distiller un ennui poli, de certaines œuvres solo. Par son ampleur sonore et son sens du détail, “Hey Mr Ferryman” rappelle plus d’une fois le superbe “60 Watt Silver Lining” qui marquait les véritables débuts sous son nom propre du chanteur à l’éternel galurin.

Par moments, l’affaire flirte avec ce rock « adulte » tant honni, mais qu’on se rassure : il y a trop de liqueur amère dans la voix d’Eitzel, trop de mauvaise bile dans son corps pour que sa musique ressemble à cette matière tiède et molle que tartinent trop souvent les artistes de son âge (58 ans dans quelques jours). Il n’a peut-être plus une revanche à prendre contre le monde, comme il le chantait en 1993, mais derrière la délicatesse des arpèges, la douceur des chœurs et la rondeur de la basse percent toujours ce pessimisme décliné en formules tranchantes comme des rasoirs. Un fatalisme que vient parfois tempérer une lueur d’espoir, ou tout du moins un doute traversant soudain l’esprit de ses personnages agrippés à l’amour, à une bouteille ou à une machine à sous comme à une bouée. “The Road”, touchante célébration de ces musiciens qui tournent sans relâche pour ne pas tomber, dit tout, comme un parfait résumé du disque et de l’art d’Eitzel : “Win or lose, the music’s right (…) And the song is the answer/Right or wrong, it don’t matter”.

 

 

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