Qu’est-ce qui fait de « Life without a Map » un album que l’on réécoute à l’envi ? Le goût prononcé pour le bricolage, le refus des codes esthétiques – qui se lit nettement sur les pochettes de Lispector, faites de bric et de broc, de collages divers – est un avant-goût de la lo-fi pratiquée par la Bordelaise Julie. Quelques éléments de biographie, aussi, comme sa collaboration avec Maison Neuve, sont tout aussi prometteurs. Il y a le nom du claviériste, Sofiane, qui est crédité Sufjan – encore un très bon présage. Il y a des clips bricolés et superbes (« Winona Forever« , pas sur l’album, mais magnifique aussi, ou encore ceux visibles ici sur « Life Without A Map » – le second est fascinant). Il y a tout cela chez Lispector, et puis il y a la musique, unique.
Traînant ses morceaux depuis plusieurs années – on n’ose pas écrire décennies – remaniés au fil des humeurs et du temps, Julie peaufine doucement des arrangements dont l’archéologie, visible ici, est fascinante, et laisse apparaître une évolution dont elle nous expliquait récemment les aléas.
Révélant un univers très personnel, entre surréalisme échevelé, poésie débridée et fantaisie mélancolique, « Life Without a Map » constitue à la fois une pierre à l’édifice de Lispector et une sorte d’aboutissement d’années de délicieux tâtonnements. L’imagination y est le maître-mot, portée par une sensibilité qui ne prête pas allégeance à qui que ce soit.
La production, assez artisanale, qui peut parfois apparaître un peu cheap, laisse respirer chaque instrument et n’écrase pas l’ensemble, et fait la part belle à des arrangements simples mais inventifs, toujours au service des morceaux – comme sur « The Cult of Less ». Sur « Pleasant Evening », la mélodie ensorcelante de la voix se heurte à une guitare rêche. « How Far Away Is the Moon from the Sun ? » convoque une question essentielle, que l’on ne s’était pourtant jamais posée. Les intonations de voix y font chavirer le morceau. Finalement c’est peut-être à Sparklehorse que l’on pense parfois, comme sur « Back to the 50’s », où la voix douce et lancinante, à la fois juvénile et mélancolique de Julie fait des merveilles, posée sur d’étales plages instrumentales.
Lispector réussit ainsi l’exploit de nous donner accès à son intimité artistique par le biais de petites vignettes d’abord charmantes, puis enivrantes, dont on ne se lasse pas, même après des écoutes obsessionnelles. Les quatre ou cinq morceaux clés de l’album sont à ce titre de vraies perles – il faut tout de même citer « Fashion Police », ses paroles grinçantes et sa musique planante d’où sourd une sombre ironie, ou « Go to Bombay », petite boulette pop impeccable – après quelques écoutes l’album entier devient indispensable.