C’est une histoire de boutures. Comme les vignes françaises doivent leur résurrection aux plants américains, Le Ton Mité, qui nous vient d’Olympia, Washington, home of K Records, se porte comme un charme sous le climat tempéré d’Europe du Nord. Comme d’autres avant lui (Beckett ou, plus proche de nous, Arrington de Dionyso …), il a décidé d’aller féconder sa poésie dans une autre langue. Comme il aime les choses obliques, on retrouve dans ses chansons délicates une inspiration nippone, avec des textes ressemblant à des haikus célébrant les objets du quotidien et la nature avec son regard d’étranger vivant en Europe, malhabile dans sa nouvelle langue comme dans des habitudes encore à prendre. Les textes de McCloud Zicmuse (oui, oui, c’est son vrai nom) témoignent souvent de cette fraîcheur de regard, quasi enfantin, sensible à la poésie en tout. Une branche, en forme de « I Grec », ramassée par terre, peut devenir un instrument, comme ses fameux iaeniaens dont les formes percussives furent la base musicale du projet « Belgotronics » d’Hoquets (cf le clin d’œil en forme de ballade-balade de « Les Frites » en conclusion), le symbole d’un lien à (re)trouver, une chanson.
On retrouve un peu partout la même pop bricolée à la Oui-Oui, ou celle plus récente d’Etienne Charry (sur le fabuleux « 36 erreurs » paru chez Tricatel il y a quelques années). On aimerait d’ailleurs que ces deux-là se rencontrent !
Même si Tori Kudo n’intervient pas sur cet album, on pense toujours aux ramifications japonaises de la musique de Le Ton Mité et aux symphonies pop de poche de Maher Shalal Hash Baz (« Ganja », « Une Histoire de la soupe »). Des chansons comme « Le Jour avant où on hurle le nom de la ville dans les rues » nous rappelle que « Kumokokudo », paru sur le label japonais Sweet Dreams Press, a été enregistré dans le studio normand de Chaudelaude là où s’étaient déroulées les sessions de l’énorme « C’est la dernière chanson« .
Un zest de basson, des chœurs ou les interventions de Eloïse Decazes de Arlt (magique duo sur « Brèche »), les chouettes percussions un peu partout (presque Shellac en mode mineur sur « Osmanthus Fragrans »), la musique de McCloud a pris du volume sans perdre de sa fragilité (le mystique « Autel Rustique » ou encore « Personne n’a compris » : Mount Eeeriesques).
Parmi nos chansons préférées, on dansera toujours sur le riff rigolo de « Foire de Poterie », on grimpera sur la montée en escalier de « Thermes », et on fera les montagnes russes sur les chœurs de « Aube » tout en regardant les tours d’acier éclairées pendant la « Nuit Blanche ».
On adore également les petites merveilles douces comme l’anglaise « Bears » et sa flûte à bec, l’amoureuse « Bises » ou la baroqueuse « Institut franco-japonaise du Kansai ».
Magie des amandes récoltées (« Abricot d’argent »), du pain quotidien posé sur la table (« Le Pain »), ou d’un caillou jeté en ricochet sur les vagues et qui se changera en sable, tout est appel, tout est souvenir. On vogue d’ailleurs d’un pays à l’autre (France, Belgique, Japon…), entre chansons et instrumentaux, le tout formant la carte d’un pays imaginaire, lointain et proche, un pays plein de nuages barbus. Oranges et bleus.