KIM
Avec "Mary Lee Doo", Kim a non seulement livré une superbe collection de tubes pop aux influences multiples, mais aussi un 18è disque et le deuxième volet d’une trilogie entamée avec "Don Lee Doo". L’occasion était belle de revenir avec lui sur ce qui le fait avancer, écrire, et comment il fait pour rester créatif.
Tu as eu un parcours relativement atypique. Est-ce que ça a été facile pour toi de trouver une maison de disques qui te suive, dans ton rythme de parution par exemple ?
Ça a toujours été difficile. En 1994, j’enregistrais mon premier 45 tours. Le label était de Marseille, et une fois le 45 tours dans les bacs, j’avais déjà enregistré de quoi faire d’autres disques. Je venais d’en sortir un, il était difficile de réclamer encore une publication. Alors je suis allé frapper à la porte d’une autre maison de disques. Elle me proposait de publier un album, mais j’avais de quoi en faire deux. Alors en 1996, je sortais un disque chez eux, puis deux mois plus tard un autre album chez un autre label. Et ainsi de suite, j’ai passé des années de labels en labels. Pour mes premiers disques c’était très difficile car je n’avais que 16 ans et j’avais des exigences difficiles à défendre pour mon âge : jouer tous les instruments, m’occuper de l’enregistrement, et sortir deux albums par an. En plus, je chantais en anglais. Les majors company ne m’ont jamais fait confiance, alors j’ai dû frapper à la porte de structures plus petites. Des labels indépendants qui avaient moins de moyens mais me laissaient faire ce que je voulais. Sauf une chose : sortir deux albums par an. J’ai du changer de label tout le temps. Il faut bien comprendre que changer tout le temps d’équipe n’aide pas à être efficace en terme d’impact médiatique, mais j’ai besoin de publier beaucoup. Je suis batteur, d’origine italienne et de petite taille, j’ai donc besoin d’en faire des tonnes. A ça, il faut ajouter mon instabilité quant à la couleur de chacun de mes enregistrements. Je changeais de style musical à chaque disque. Pas facile de promouvoir quelqu’un d’aussi peu lisible. Aujourd’hui je suis chez Vicious Circle qui me défend bien. Avec la crise du disque, je ne peux plus sortir deux albums par an, mais je fais mon album annuel.
Es-tu attaché au format album ?
Oui. J’aime aussi les singles. Ca me manque de ne pas en sortir en ce moment. Mais j’ai souvent tenté de raconter des histoires dans mes albums. Beaucoup d’entre eux sont meme conceptuels. Comme "Married On" par exemple, ou "Melodin Sane".
"Mary Lee Doo" est le deuxième volet d’une trilogie. Pourquoi avoir choisi ce format de trilogie ?
Avec "Don Lee Doo", je sentais que pour une fois, je n’allais pas avoir envie de changer de couleur musicale pour le disque suivant. J’avais trouvé une formule à base de batteries répétitives, accords mineurs, synthétiseurs, guitares folk ou garage, instruments jouets, chants funky et ça me plaisait de continuer à développer cette atmosphère. Les paroles était axées sur une histoire de secte, de monde à reconstruire avec de l’eau. J’avais même un champ lexical prononcé avec les mots "water", "weblog", "radio", "river", "turn". Durant l’enregistrement de "Don Lee Doo", je m’étais promis que si le disque marchait bien, je continuerais dans cette ambiance. Si ça avait été un bide, j’aurais manqué de motivation. Le disque a bien marché, je me suis plongé sur la suite en imaginant une trilogie. Si le premier volet était axé sur une secte, le deuxième aurait pour sujet la famille. J’ai enregistré "Mary Lee Doo", qui est beaucoup plus autobiographique, plus sombre, et étrangement, plus funky. Pour être cohérent il y a dix titres, comme pour l’album d’avant. J’ai besoin de cohérence, de dogmes, de concepts pour me sentir à l’aise. J’aimerais me détacher de tout ça, car on peut ressentir ça comme de la justification. C’en est aussi un peu. Je suis seul, je joue de tous les instruments, ca n’est pas simple de ne pas ressentir le syndrome de l’imposteur. Alors en attendant, je me rassure avec mes concepts. Et puis ça m’amuse. C’est important, le ludique.
As-tu commencé à travailler sur le troisième volet ?
Oui. Il est arrivé tout seul dans ma tête. Mes chansons arrivent toujours toutes seules dans mon cerveau. Je n’y peux rien. Souvent durant l’été. Et cet été, j’ai eu toutes sortes de chansons qui me sont tombées dessus. La plupart sont très éloignées de l’ambiance de "Don Lee Doo" ou "Mary Lee Doo". Je les ai mises de côté pour d’éventuels futurs autres albums. Mais il y a aussi un tas de chansons que je pense pouvoir intégrer à la trilogie. De plus, les textes aussi me tombent dans le cerveau sans rien faire. Il y a souvent des fautes et des parties dont je ne comprends pas le sens, alors je vais devoir éclaircir un peu les textes, mettre de l’ordre. Mais je vais bientôt me pencher sur l’enregistrement. La trilogie a pour thème l’appartenance à un groupe. Que ce soit une secte, un réseau social, une famille, les amis. Le troisième volet sera donc la conclusion. La première phrase de "Don Lee Doo" est "there’s a door in the corner of my head". Il faut que je trouve un moyen de fermer cette porte à la fin de mon prochain disque.
J’espère aussi ne pas sortir un autre disque entre le tome 2 et le tome 3. Parfois, ce sont des accidents discographiques qui peuvent arriver. J’ai vécu ça avec "Melodin Sane" et "Metalic Sane". Un diptyque séparé par trois albums. Un concours de circonstances.
A entendre tes disques, il semblerait que tu sois un gros consommateur de musique. Quels ont été tes premiers coups de coeur musicaux ?
Madonna, Balavoine et The Cure.
Il y a des groupes qui te parlent actuellement ? Des groupes dont tu te sens proche ?
Herman Düne et Dionysos pour l’écriture, l’énergie, la démarche.
J’adore comme jouent Gush et Housse de Racket.
Je me sens proche de PacoVolume, et je le suis puisque nous sommes amis. On est voisins dans la vie et dans la musique.
En ce moment j’ai découvert Cléa Vincent et ses chansons me bouleversent.
Est-ce qu’il y a un style qui t’échappe totalement, ou que tu ne t’imagines jamais aborder ?
Qui m’échappe oui. Normal. Mais qu’il y ait un style que j’imagine ne jamais aborder, non.
La musique est trop riche pour que je ferme des portes. Il y a un champ des possibles immense et je ne me censure pas.
Comment fais-tu pour garder de la cohérence dans ton écriture ? "Mary Lee Doo" marche parfaitement d’un bloc, mais cela pourrait tout aussi bien être dix singles séparés. Est-ce que ça t’est difficile de garder cette ligne directrice, ou tu cherches avant tout à te faire plaisir ?
Ca n’est pas simple. J’ai mes secrets. Je suis un fou de théorie musicale. Je passe mon temps à jouer avec les gammes, les tonalités, les rythmes. Je consulte des livres. J’apprends à jouer de nouveaux instruments en permanence. J’ai appris l’analyse musicale à l’école. J’ai passé un Bac Musique, et j’avais commencé à apprendre l’ensemble des systèmes rythmiques du monde entier par le biais de l’école de jazz où j’apprenais la batterie quand j’étais petit. J’ai gardé plein de méthodes, de "trucs" pour cacher des secrets au fond de sa propre musique. Personne n’a remarqué que "My Family", "Weblog Miracle", "Solid Rock" et "Lady Blue" étaient voisines harmoniquement. Il s’agit de la même chanson, avec d’autres mélodies, d’autres fractures rythmiques, des motifs inversés, des gimmicks qui vous font perdre le fil. En 2001, j’ai été cambriolé. Je n’avais plus qu’un piano pour faire de la musique. Rien pour continuer l’enregistrement de mon album "Married on". Pour ne pas devenir fou, j’ai préféré continuer à écrire le disque sur partition en attendant de retrouver du matériel d’enregistrement. J’ai gardé cette méthode. Une longue préparation avec ce dont on a vraiment besoin pour écrire des chansons : un stylo et du papier.
Tu joues dans toutes les configurations : seul, en groupe, en acoustique… Est-ce que tu as une préférence parmi ces différentes facettes ? C’est le même plaisir ?
Aucune. Encore une fois, l’apprentissage du jazz à l’âge de dix ans m’a influencé pour toujours. "Mary Lee Doo" est d’ailleurs le premier album dans lequel j’ai une chanson au jeu jazzy ("Weblog Miracle"). J’apprenais la batterie avec un prof génial. Il y avait des ateliers d’improvisation. Mon prof ressemblait à Monk, et son approche de l’improvisation m’a bouleversé. C’était un fil tendu entre un instant musical et l’instant d’après. En dessous, il y a le vide, le bide, l’échec. Depuis, je n’ai envisagé la musique live que de cette façon là. Je joue sans aucune set list, que ce soit en solo ou accompagné. J’aime jouer la chanson totalement concentré, comme si c’était la dernière du concert. Ca empêche de simplement exécuter le concert et ça favorise l’interprétation. Ca empêche aussi d’avoir l’éternel crescendo obligatoire d’un concert. Quand tu viens me voir en live, il se peut que je passe trente minutes à parler, puis que je m’en aille sans avoir joué. D’autres fois j’enchaîne tout sans dire un mot. Je fais parfois des medley. Je ne mens jamais en live. Il m’est arrivé de faire des concerts entiers avec des reprises alors que je venais de sortir un nouvel album simplement parce que je n’avais pas envie de jouer mes chansons. Mes concerts n’ont ni début ni fin. Ils font parfois deux heures et demi, il n’y a pas vraiment de rappel. Les seules choses que je fais de façon traditionnelle sont mes entrées sur scène que je soigne, et mes révérences à la fin des chansons. Pour tout le reste, c’est de l’improvisation. Jusqu’au choix de la formule. Parfois solo. Parfois solo sans aucun instrument électrique. Parfois avec un seul instrument. Ça permet au public d’entendre mes chansons jouées avec un autre instrument. J’ai joué "Don Lee Doo" au banjo alors qu’il n’y en a pas du tout dans l’album. Au piano aussi. J’ai aussi joué dans la rue ou par le biais d’une webcam. Toutes ces formules me permettent de faire vivre des choses à mes chansons et au public. Je suis en danger, et j’aime que les gens soient concentrés. Se mettre en situation difficile permet cette concentration. Quand je joue accompagné de musiciens, j’essaie de répéter le moins possible. Ils n’ont droit à aucune set list, que ce soit les musiciens de ALB, ceux de Bogart ou Maxime Garoute (batteur actuel de Johnny Hallyday). Je ne respecte pas non plus les structures de mes chansons telles qu’elles sont sur disques. Je dirige les refrains et les couplet à la voix. Des signes dans le micro sur lesquels on se met d’accord.
Je ne dis pas que j’ai raison, ce sont mes méthodes, mes dogmes. Les gens qui viennent me voir en concert pour que je joue mon disque n’ont qu’à rentrer chez eux et écouter mon disque. Le live c’est du spectacle. Les enregistrements, c’est une autre quête. Ca serait comme comparer le théâtre et le cinéma, la télé et la photo. Ça n’est pas la même chose.
Solo ou accompagné, j’aime les deux, et à l’avenir, je vais essayer de faire un mélange. L’ennui c’est qu’en solo je fais beaucoup de stand up lors de mes concerts. Ce sont des moments difficiles pour les musiciens. A suivre.