Keren Ann maintient un bon rythme de parution. Six albums en 10 ans (sans compter son travail d’arrangements sur la bande originale du film « Thelma, Louise et Chantal » l’année précédente), ça n’est pas chose banale, surtout par les temps qui ne courrent pas, justement (qui a parlé de Radiohead ?). La Hollandaise de France revient cette fois avec un opus beaucoup plus sombre. La même pop dansante est toujours présente, mais séparée du timbre charnel des deux précédents opus (« Nolita » et « Keren Ann », respectivement en 2004 et 2007). Keren Ann met de côté son chanté mielleux, joue la carte de l’auto-dérision, de la tristesse assumée, avec un tact incomparable (la pochette en elle même en dit déjà long, la chanteuse, armée d’un revolver, arbore un look à la Anna Karina avec la pâleur d’un Elliot Smith, période « Figure 8« ). Produit de cette métamorphose, on assiste à la fragilité de Moriarty (« My Name Is Trouble ») qui, peu à peu, noie son chagrin avec le brin décontracté d’Holly Golightly (« Sugar Mama », « Blood On My Hands »), pour un final résigné superbe, dont la voix monocorde évoque la détresse de PJ Harvey (« 101 »).
Il faut reconnaître que le disque est plutôt bien construit. Les dix titres s’enchaînent sans accroc, chaque morceau obéissant à un format pop variété, arrangé avec soin et sobriété. C’est d’ailleurs le seul (petit) reproche que l’on peut faire durant l’écoute, passé l’heureuse surprise de la maturation musicale : ce même sentiment de faire du neuf avec du vieux, mixé pour le standard actuel, bien que nous soyons très loin du simple « coller » adapté. Le véritable point fort de « 101 », réside en réalité dans les nuances vocales de la chanteuse. L’album est davantage le suivi d’un parcours que d’un nouvel état d’esprit, alternant des titres aux couleurs différentes, très pathos (« Strange Weather ») mais éternellement nostalgique (« All The Beautiful Girls », le très surf guitar « Song From A Tour Bus »). La voix qui chantait « Not Going Anywhere » avec la fougue de l’adolescente blessée s’est envolée, tout est affaire de compromis désormais (« She Won’t Trade It For Nothing »). L’album se conclue sur une révélation, 101 vérités (ou de bonnes raisons d’en finir), débitées comme un compte à rebours, avant de passer l’arme à gauche. À moins que cette grande déprime ne soit qu’une caricature de star ?