Invités par les studios Red Bull pour une journée de collaboration, Jay-Jay Johansson et Robin Guthrie ont choisi de se réapproprier le superbe “Laura” de Bat For Lashes. POPnews a assisté à la séance d’enregistrement puis a ensuite interrogé les deux amis de longue date sur leurs projets passés et à venir.
Comment êtes-vous entrés en contact pour votre première collaboration sur « She’s Mine But I’m Not Hers » sur l’album « Tattoo » ?
Jay-Jay Johanson : Je n’aurais jamais osé contacter Robin personnellement car je suis un très grand fan de son travail. J’étais dans les locaux de BMG à Paris. Je venais de faire un duo avec Valérie Leulliot, et quelqu’un m’a parlé d’un remix que Robin venait de faire pour son groupe, Autour de Lucie. J’ai sauté sur l’occasion pour qu’ils lui demandent s’il pouvait travailler sur mon single « She’s Mine But I’m Not Hers ».
Robin Guthrie : C’est vraiment une coïncidence car je n’ai aucun pied dans le business de la musique et je ne m’intéresse pas plus que ça aux nouveautés. Pour que j’aime un nouvel artiste, il faut vraiment que j’y détecte quelque chose de spécial. Et quand j’ai entendu le travail de Jay-Jay, « Whiskey » en l’occurrence, je me suis dit : « Waow !, ce type a du talent. »
J.J.J. : Nous nous sommes physiquement rencontrés pour la première fois dans une voiture, dans un champ près de Saint-Malo pendant le festival La Route du rock, pour que Robin me fasse écouter son remix du morceau. Je pense que c’était en 1997 (1998 en fait, ndlr).
Vous avez ensuite collaboré sur « Poison » (2000) – Robin a joué sur deux morceaux –, puis plus rien jusqu’à « Opium ». Êtes-vous restés en contact toutes ces années ? Avez vous échangé ensemble lors de vos sorties d’albums respectifs pendant cette période ?
J.J.J. : En effet, nous nous étions revus par la suite, à Londres et à Stockholm, pour travailler ensemble sur des titres pour « Poison ».
R.G. : Oui, Jay-Jay a séjourné chez nous pendant que nous travaillions dans mon studio, et je suis allé chez lui et j’ai fait de même. Nous n’avons pas uniquement travaillé sur les titres de Jay-Jay, on a aussi travaillé ensemble sur d’autres titres pour notre plaisir. Et comme j’ai tendance à ne me débarrasser de rien, je suis retombé par hasard sur des vieilles bandes analogiques issues de ces sessions, que j’ai transférées sur mon ordinateur. Je n’en ai pas parlé à Jay-Jay, j’ai travaillé sur ces deux chansons et je les lui ai envoyées.
J.J.J. : C’était vraiment inattendu car je n’avais aucun souvenir de ces deux morceaux. C’était bien la guitare de Robin et ma voix mais je ne me rappelais pas avoir écrit les paroles, ni avoir chanté ce titre ! Bon, on avait juste passé un ou deux jours à travailler dessus, mais quand même !
R.G. : J’ai adoré la voix de Jay-Jay et je me suis dit : pourquoi ne pas essayer de me remettre au travail sur ces morceaux ?
J.J.J. : J’ai trouvé ma voix trop plate sur ces titres ! Heureusement, on a collaboré ensemble depuis pour arranger ça ! Par contre, je me souviens parfaitement que nous avons eu notre heure de gloire. A l’époque de l’enregistrement de l’album « Poison », Robin est venu en Suède pour m’aider sur « Far Away ». C’est une des chansons dont je suis le plus fier, surtout pour la superbe contribution de Robin. Et bien, figure-toi que ce titre a eu un impact énorme en Turquie. A tel point que c’est presque devenu leur deuxième hymne national (rire).
Robin, y-a-t-il beaucoup de chansons non terminées qui dorment dans tes archives ?
R.G. : Alors que certains titres ont terminé sur les albums de Jay-Jay, cinq autres environ n’ont pas été utilisés par le passé. On les a laissés se reposer pour qu’ils arrivent à maturité doucement mais sûrement… même s’ils n’étaient pas terminés.
J.J.J. : Je suis venu chez toi en février l’année dernière et on a enregistré quatre démos. L’une d’entre elles se nomme « Scarecrow » et va figurer sur « Opium », mon nouvel album. La partie de guitare de Robin provient d’une maquette enregistrée en 1999 sur laquelle j’ai retravaillé ma voix.
R.G. : (interrompant Jay-Jay) C’est intéressant ce que tu dis car quand j’ai entendu ta maquette, je me suis dit « C’est bien moi qui joue de la guitare, mais je n’ai aucun souvenir d’avoir enregistré cette chanson ! » (tous les deux éclatent de rire). C’est marrant, c’est comme si on ne s’intéressait pas vraiment à ce qu’on fait quand on travaille ensemble ! (ils éclatent à nouveau de rire).
J.J.J. : Je t’ai envoyé ma version de « Scarecrow » et tu as retravaillé ta partie de guitare, les arrangements et la production. Quand tu m’as renvoyé ta version, j’étais admiratif… Je me suis dit qu’il fallait que ça figure absolument sur notre album commun.
R.G. : Sauf que tu es trop impatient ! (rires)
J.J.J. : C’est vrai… Mais je me suis dit que ça nous donnerait aussi un bon coup de pied au derrière pour qu’on se bouge un peu plus et qu’on termine notre disque avant les dix prochaines années. Car tu l’auras compris, nous avons un disque enregistré tous les deux qui ne devrait pas trop tarder à sortir.
On retrouve vraiment le son « classique » de Robin sur « Scarecrow », comparé à vos autres collaborations. Pourquoi cette décision ?
R.G. : Je suis vraiment limité techniquement comme musicien. Et je suis très difficile en matière de musique. J’aime vraiment ce que j’arrive à créer en tant que musicien mais il faut avouer que j’évolue très lentement. Je m’en fiche si je donne l’impression de composer la même chanson en permanence, car tu sais quoi ? C’est une putain de bonne chanson ! (il éclate de rire). Je ne me suis jamais senti l’âme d’un musicien qui se croit obligé de se réinventer en permanence ou de suivre les styles à la mode.
Robin, ton style évolue tout de même au fil des albums, avec différentes nuances, différentes atmosphères.
R.G. : Oui évidemment, mais tout ça reste tout de même confiné à mon petit univers. C’est peut être parce que les artistes que j’aime ont tous quelque chose en eux de vraiment unique. Regarde par exemple la voix de Jay-Jay, le piano de Harold Budd, le son de guitare de Jimi Hendrix. Ils ont tous quelque chose de vraiment spécifique, quelque chose qu’un enseignement musical ne leur apportera jamais car ça leur est propre. C’est pour ça que je n’arrive pas à travailler avec des artistes quand il faut sans cesse faire des compromis. Il n’y a rien de plus beau que quand deux univers particuliers arrivent à se fondre naturellement l’un dans l’autre. C’est pourquoi je ne collabore pas beaucoup avec d’autres musiciens car cette alchimie se produit rarement. J’ai envie que l’on reconnaisse ma touche personnelle si je m’investis. Pour moi c’est plus une qualité qu’un défaut.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet commun ?
J.J.J. : L’album comportera ce que je considère comme la plus belle chanson que j’ai jamais chantée, “Niagara Falls”, et une autre que j’ai commencé à composer en 1999 lorsque j’étais vraiment déprimé.
R.G. : Pour les chansons composées récemment, je prépare mon matériel et je m’assois à mon bureau avec la guitare autour du cou pendant que Jay-Jay joue du piano et dès que nous tenons quelque chose de bien, on s’arrête et on continue à travailler dessus. Ensuite, je fais pas mal d’editing quand je suis tout seul. On travaille tous les deux très dur quand nous sommes ensemble.
J.J.J. : De mon côté, j’ai un carnet de notes avec des idées de textes pas encore totalement aboutis. C’est marrant car je ne considère pas mon anglais comme étant très bon. Je fais donc des erreurs et Robin trouve ça charmant ! L’avantage c’est que je peux lui demander immédiatement de me corriger.
R.G. : Et quand je joue de la guitare en suédois, il peut également corriger mes erreurs ! (rires).
Partagez vous d’autres passions en dehors de la musique ?
R.G. : Oui, les plaisirs simples de la vie ; nous attachons par exemple tous les deux beaucoup d’importance à nos familles. Jay-Jay connaît mes enfants depuis qu’ils sont tout petits.
J.J.J. : L’inverse est vrai aussi car Robin était présent avec sa famille à mon mariage à Paris il y a onze ans. Pour en revenir à la musique nous partageons une passion commune pour Ennio Morricone.
R.G. : Je l’ai vu deux fois. La première à Florence, et la dernière il y a deux semaines à Nantes.
J.J.J. : Il y a longtemps, je me suis produit à un festival où Piero Umiliani jouait le jour avant moi et Ennio Morricone le jour d’après. Un de mes plus grand regrets est de n’avoir pu aller écouter ni l’un ni l’autre à cause de ma tournée.
R.G. : Ce récent concert m’a apporté une telle bouffée d’air frais. Par le passé j’ai tellement été associé à la scène indie, avec tous ces groupes qui jouent dans des clubs, alors que ce n’est pas trop le type de concerts auxquels j’assiste ni la musique qui m’excite. Voir 150 personnes sur scène, c’est quelque chose d’inhabituel et d’excitant pour moi. Un concert comme celui d’Ennio me fascine et me déprime à la fois. Car quand tu rentres chez toi et que tu te retrouves tout seul avec ta guitare, tu de dis : « à quoi bon ? ». La musique d’Ennio m’accompagne depuis vingt-cinq ans.
J.J.J : Je me souviens avoir fouiné dans ta collection de vinyles quand tu habitais à Londres et y avoir trouvé pas mal de Sinatra mais pas trop de Chet Baker. Ma collection se compose essentiellement de Chet Baker et de musiques de films.
R.G. : Tu as dû mal regarder, car j’avais beaucoup de Chet à l’époque. Tu sais, quand j’enregistrais avec Harold Budd dans un studio, il y avait un poster de Chet Baker au mur. Et Harold m’a dit : « Robin, j’ai rencontré Chet Baker un jour, et tu sais quoi ? Il n’avait plus de dents ! » (rires)
J.J.J. : Je l’ai vu en concert quand j’avais 15 ans, en 1984, et ça a changé ma vie radicalement. J’ai toujours ce concert en tête, c’était bouleversant.
R.G. : Je pense que même si tu n’avais jamais entendu Chet, ta façon de chanter serait probablement la même qu’aujourd’hui.
J.J.J. : Non, je ne pense pas.
Jay-Jay : Tu avais donc Chet Baker comme référence quand tu as enregistré les voix de « Whiskey », ton premier album ?
J.J.J. : C’était vraiment particulier car je n’avais jamais enregistré ma voix, ni réalisé aucune démo avant de rentrer en studio pour « Whiskey ». Je ne savais pas comment m’y prendre pour placer ma voix. Fallait-il prendre Sinatra ou Baker comme inspiration ?
R.G. : Quand tu enregistres ton premier disque, tu ne passes pas ton temps à penser aux erreurs car tu n’as pas de références en tête. Je trouve ça magnifique car ces premiers enregistrements capturent l’essence d’un artiste, mais pas son potentiel qui arrive généralement vers le troisième album.
Vous avez travaillé toute la journée sur une reprise de « Laura » de Bat For Lashes. Pourquoi avoir choisi ce titre ?
R.G. : Nous voulions jouer « Scarecrow », mais c’est un titre difficile à reproduire en live avec toutes ces boucles. Il y a parfois une grosse différence entre ce que tu peux faire en studio et ce qu’il est possible de recréer en live. Ça aurait été trop compliqué car il y a trop de parties de guitares et que je ne joue jamais en live avec des parties de guitares enregistrées.
J.J.J. : Bien entendu, « Scarecrow » est le premier titre qui m’est venu en tête pour cette session. Robin a regardé si c’était faisable, mais en définitive, c’était trop compliqué. On me demande parfois pourquoi je ne joue jamais certains titres en concert et je réponds toujours que ce sont de purs produits de travail en studio quasiment impossibles à récréer en live. Il n’y aurait aucun intérêt à en jouer des versions approximatives en live. Pour répondre à ta question, ma femme s’appelle Laura, Vincent Gallo a une superbe chanson qui s’appelle également « Laura », idem pour Sinatra. Ça fait beaucoup de Laura dans mon univers, et comme le morceau de Bat For Lashes a attiré mon attention à cause de son titre, je me suis dit qu’il était temps de leur rendre hommage à toutes (rires).