Loading...
Disques

Insecure Men – S/T

 Insecure Men - S/T

Ne pas arriver à situer un disque dans l’histoire musicale, à l’assigner à un genre ou à le placer dans une filiation, est un plaisir qui se raréfie. En effet, depuis pas mal d’années et de plus en plus, écouter une nouveauté se résume à un exercice en deux temps : faire l’inventaire raisonné des influences présentes, puis juger de la pertinence de leur synthèse. La pop et le rock étant devenus un monde d’ouvrier spécialisés, le critique se voit alors ravalé au rôle morne et ingrat d’inspecteur des travaux finis.

Non pas que ce premier album d’Insecure Men (formation menée par Saul Adamczewski de Fat White Family), superbement produit par Sean Lennon, qui est loin d’être le fils de personne, soit exempt d’influences. On y entend, disséminées, des miettes de Martin Denny, Gary Numan, Phil Spector, T-Rex ou de The High Llamas, mais l’habileté avec laquelle tout cela est préparé et servi décourage toute velléité de pistage. Saxophone, vibraphone, lap-steel hawaïen, claviers rudimentaires et chœur d’enfants, il s’agit avant tout d’un disque de mise en scène sonore d’une grande profondeur de champ, où il se passe toujours quelque chose dans le cadre, où le décor importe autant que les rôles-titres, où le soundwriting, insensiblement, prend le pas sur le songwriting.

Luxe ultime, deux pop-songs archétypales glam-spectoriennes font même – temporairement – mentir l’analyse : “Teenage Toy” et “I Don’t Wanna Dance (With My Baby)”, délices d’immédiateté mélodique. Et il semblerait que ces gens aient de l’humour retors à revendre : intituler une chanson “Whitney Houston and I” et évoquer dans une autre (“Mekong Glitter”) les frasques pédophiles de Gary Glitter, en attestent.

Dans la pop, les stylistes, les décorateurs, les coloristes ont mauvaise presse : depuis les années 60, l’hégémonie de l’auteur-compositeur, du songwriter-démiurge a éclipsé les disques d’orchestrateurs si populaires dans la décennie précédente. Ces morceaux faits pour danser, recevoir des amis, lire le journal en rentrant du travail, voire faire l’amour (au risque de devoir retourner le disque en plein milieu des ébats). C’est à une réhabilitation en grande pompe de ces musiques utilitaires que se livre Insecure Men. Satie parlait de « musique d’ameublement », Eno de « musique d’aéroports » ; Saul Adamczewski, lui, invente la musique d’escaliers, une « musique d’ascenseurs » qui affermit l’oreille et dégourdit l’esprit.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *