IGNATUS – Cœur de bœuf dans un corps de nouille
(Ignatub/Atmosphériques)
Ceux qui avaient apprécié les pochettes sobres et élégantes des albums précédents d’Ignatus risquent d’être fortement décontenancés par celle-ci – sans même parler du titre. Il a donc poussé à Ignatus des cornes, des oreilles et un museau ; un cœur de bœuf s’est mis à battre dans son corps de nouille. Toutes proportions gardées, ce troisième album est un peu à sa musique ce que la "période vache" (une série de tableaux à la laideur provocante) fut à la peinture de Magritte. Jérôme Rousseaux lâche la bride à une fantaisie jusqu’ici bien tenue et à une férocité désormais sans filtre, loin d’une chanson française certes séduisante mais un peu trop sage, un peu trop sûre de son bon goût. Sans équivalent dans le paysage musical actuel – à part peut-être les disques d’Etienne Charry -, "Cœur de bœuf…" apparaît avant tout comme la somme des expériences passées de son auteur, de la pop bien peignée des Objets à l’animation d’ateliers d’écriture, en passant par la création de spectacles autant visuels que sonores et des rencontres avec quelques musiciens et hommes de studio parmi les plus inventifs de ce pays. Ces complices avec qui Ignatus a collaboré au fil des ans ont presque tous répondu présent (pas Mark Eitzel ni Mirwais, quand même, mais les fidèles Matthieu Ballet, Albin de la Simone et Jérôme Bensoussan sont là), apportant une extrême variété de styles, d’arrangements, de textures, créant in vivo une musique inclassable. Les recherches sur les samples et les rythmiques, amorcées dès le premier album (cf. "Fixe"), sont ici poussées dans leurs ultimes retranchements. Ignatus plante même le dernier clou dans le cercueil de la French Touch avec "Souffle court", morceau dont il a laissé les clés à Christophe Monier (The Micronauts), qui en a profité pour faire des trucs tout bizarres avec ses machines. Ailleurs, on croise Eric Neveux, Jacques Duvall (parolier décalé de Lio ou Chamfort, qui signe le texte des "P’tits chiens"), l’admirable Joseph Racaille, la jeune chanteuse cap-verdienne Mayra Andrade ou encore les musiciens congolais Amour et Christian Makouaya. Echos de jazz ou de trip-hop, de musique africaine ou d’ambient, cordes grand style, clin d’œil à la chanson d’autrefois ("Taisez-vous", texte anonyme et plein de bon sens du XIXe siècle) et même délire rap-funk : Jérôme Rousseaux semble avoir fait le disque dont il rêvait, une grande bouffe musicale où cohabitent une certaine idée de la chanson d’ici – l’héritage sarcastique de Boris Vian et des premiers Gainsbourg – et une volonté farouche d’aller au-delà, d’emprunter autant de directions que possible. Les estomacs délicats auront peut-être un peu de mal à finir, les autres se régaleront.
Vincent
33e étage
L’argent
Les p’tits chiens
Mes obligations
La douceur
Taisez-vous
Ronde comme moi
Les cuisines de l’amour
J’aspire
La prestance
Les autres
Les mots
Souffle court