Moins foufou qu’à l’époque des merveilleux Super Furry Animals, leur ancien chanteur Gruff Rhys revient avec des chansons à l’élégance classique. La maturité a du bon.
Au moment de la sortie du premier album de Super Furry Animals, en 1996, la Britpop était déjà au début de la fin de sa courte existence de mouvement insularo-nostalgique. De cela, le groupe de Gruff Rhys n’en avait cure, n’étant pas britannique mais crânement gallois. Cette distinction géographique, identitaire, était déjà une manière de projet esthétique : la pop anglaise de l’époque, aussi caricaturée qu’auto-caricaturale, rejouant la grande histoire version farce (l’Union Jack tous azimuts, la focalisation maladive sur l’âge d’or des sixties, le look néo-mod de rigueur) était décriée par le groupe comme un pur et simple “conservatisme musical”.
Il faudra pourtant quelques disques à Super Furry Animals pour que son projet d’émancipation quasi sécessionniste, qui puise dans la liberté de la pop progressive de l’école de Canterbury du début des années 70, trouve sa forme propre : inventer un psychédélisme adapté la fin des années 90, exempt de complaisance instrumentale et de régression infantile, qui n’oublie jamais l’efficacité mélodique mais, en droit, peut et doit tout se permettre. La profusion exubérante des albums “Rings Around the World” (2001) et “Phantom Power” (2003), où classicisme pop, tropicalisme, expériences électroniques et cacophonie bruitiste pouvaient parfois cohabiter au sein d’un même morceau de quatre minutes, prouvera que le sens de l’aventure en musique, pour Gruff Rhys et ses acolytes, n’était pas qu’une formule d’accroche de dossier de presse mais un sacerdoce joyeux – le petit miracle supplémentaire étant que le groupe ne se départissait jamais de sa légèreté rigolarde.
Gruff Rhys, avant la séparation du groupe en 2010, a sorti deux disques solo modestes et un peu anecdotiques. D’excellente tenue, « Hotel Shampoo » (2011) et « Amercian Interior » (2014) voyaient l’écheveau baroque de Super Animals Animals faire place à une approche plus classique, mélancolique à l’occasion, du songwriting.
Le récent “Babelsberg” poursuit dans cette voie de maturité relative. C’est un disque qui a la tête sur les épaules, mesuré, élégant, très prodigue en orchestrations (orchestre symphonique omniprésent, pedal steel, chœurs féminins). Qui chatoie de partout sans en mener large.
Une ballade country strictement nashvillienne (“Frontier Man”) y côtoie “Oh Dear !”, cavalcade dans les grands espaces qui semble directement sortie du premier album de The Last Shadow Puppets. Le spectre moustachu de Lee Hazlewood est régulièrement invoqué, tandis que les paroles esquissent une poétique des drones (“Drones in the City”) et des selfies (“Selfies in the Sunset”), en passant, avec une élégance certaine.
Cette prudence et cet équilibre constants pourraient amener l’auditeur à l’ennui poli que produit inévitablement la maîtrise. Il n’en est rien, et l’on a finalement envie de célébrer les vertus du « conservatisme musical », que fustigeait Gruff Rhys il y a plus de vingt ans. « Same Old Song », chante-t-il ; « Tant mieux », lui répondons-nous.