GRIZZLY BEAR – Veckatimest
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De l’eau ayant coulé sous les ponts, il est temps pour POPnews de traiter l’HHHHHAlbum de l’année par le biais de ma plume évidemment gracile. Distinguons dès l’abord deux styles de disques puissamment recommandés : l’album de l’année, rompu sous les écoutes et distingué par les rédactions après d’âpres transactions entre chroniqueurs, à ne pas confondre avec l’HHHHHAlbum de l’année désigné d’une voix divine et d’un doigt vengeur à la foule de journalistes rock forcément transis s’agenouillant pour recevoir la manne. "Veckatimest" fait partie de la seconde catégorie. C’est un disque incontournable au sens où il bouche le paysage et oblige à se triturer les méninges pour en retirer des effluves non volatiles. En un mot, "hype".
Un rapide tour de la critique française accorde diverses qualités à Grizzly Bear par le biais de "Veckatimest", principalement de bénéficier des largesses de Radiohead, mais aussi de travailler très dur en studio, et enfin de s’éloigner de ce format pop si restrictif (pensez ! Un refrain et des couplets, qui a besoin de ça ?). Pour le reste, flou artistique. Pitchfork, supporter n°1, n’est pas plus disert mais il enrobe mieux pour un résultat similaire : "Veckatimest" serait un grand disque parce que c’est un grand disque. CQFD ? Plongé dans une expectative grandissante, je décide d’appliquer le système mathématique du site indie et prends ma calculette – remisée au grenier depuis un bien douloureux Bac C – pour quantifier le ratio plaisir/écoute du chef-d’oeuvre. Qu’advient-il ? Une moyenne de 5,1 contre 9 chez Pitchfork. Deux options : soit je suis un vilain petit canard (hé, c’est vrai !), soit tel Bérenger dans Rhinocéros, je résiste malgré ma faible constitution à l’épidémie de veckatimite. Essayons de nous pencher avec oh… à peine un peu d’attention sur l’objet récemment intronisé par Télérama.
Premier point : "Veckatimest" n’est pas un mauvais disque, on peut en convenir assez rapidement, tout comme il est relativement aisé de se rendre compte que c’est loin d’en être un très bon. Malgré/à cause de sa sophistication, il tombe vite des oreilles. Bon, j’ai l’air de faire la fine bouche mais avec ma naïveté coutumière, j’ai suivi le mode d’emploi détaillé ici et là : à écouter de façon répétée et recueillie. Seulement voilà, après dix-douze écoutes, rien, nada, "Veckatimest" ne s’imprime pas. Ou plutôt il s’imprime par endroits. "Two Weeks", single fièrement lancé en éclaireur, est tout ce que son contenant n’est pas : direct, enjôleur, presque aussi irrésistible avec sa vibration sixties que "No One Does It Like You", meilleure chanson écrite par l’un des Bears, Daniel Rossen sous pseudonyme des Departments of Eagles. On peut aussi accorder deux accessits à "Ready, Able" et "I Live With You", qui ménagent des envolées appréciables (bel orgue très "Bal des Laze" du premier, jolis flûtiaux sur l’orage du second). L’envolée – et c’est là le mal – se porte un peu lâche chez Grizzly Bear, comme un cache-poussière. Il y en a partout, dans les coins, orchestrales, vocales. Qui sait si les silences, nombreux, ne sont pas des envolées cachées ? Un morceau de Grizzly Bear, en gros, d’abord c’est plat, puis ça saillit et enfin, ça redevient plat. Moi, ça me rappelle quelque chose, mais j’ai sans doute mauvais esprit. "La coupe de ses sens lui parut déborder", écrit Henry James dans "Les Ambassadeurs", auteur que ces jeunes gens chics, WASP, upper-class (supputons) apprécient sûrement. Mais ce n’est pas avec "Veckatimest" que notre coupe à nous va chavirer. Elle aurait même tendance à s’évaporer, frappée d’un sirocco asséchant. Grizzly Bear a beau soigner à l’extrême sons et arrangements, sa musique est émotionnellement frigide. Voilà quarante ans, Van Morrison croisait des boutures folk et jazz dans un album également pop qui transporte encore aujourd’hui : "Astral Weeks" au titre aussi magique que ce que l’on y entend. "Veckatimest", quant à lui, aussi abscons que son blaze, sue beaucoup sur plein de notes, s’autorise quelques décharges rock genre "hum, trop de sève" et n’accouche que de bâillements polis.
"You could hope for substance" chante Ed Droste sur "While You Wait For the Others". Cette substance quintessentielle, on l’avait goûtée sur le précédent "Yellow House" avec notamment ce grandiose "Plans" aveuglant comme une pyramide escaladée pour un sacrifice humain. Le seul sacrifice ici est celui d’un talent placé en berne qu’on espère revoir très vite. En attendant, foin d’album de l’année, "Veckatimest" est l’album de l’ennui.
Christophe Despaux
A lire également, sur Grizzly Bear :
la chronique de « Friend » (2008)
l’interview (2007)
la chronique de « Yellow House » (2006)
l’interview (2006)
la chronique de « Horn of Plenty » (2006)
Southern Point
Two Weeks
All We Ask
Fine For Now
Cheerleader
Dory
Ready, Able
About Face
Hold Still
While You Wait For the Others
I Live With You
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