Loading...
Interviews

Gaz Coombes – Interview

Nous avons rencontré Gaz Coombes, l’homme aux éternelles rouflaquettes, pour lui poser des questions sur la genèse de « Matador« , l’un de nos albums préférés de ce début d’année.  

GCI1

Ton disque semble beaucoup plus épuré que le précédent, comme si tu avais cherché à aller à l’essentiel.

Mon idée de départ était de fonctionner à l’instinct. Je voulais que toute idée qui me venait à l´esprit soit enregistrée rapidement et le plus simplement possible. Il y a bien sûr quelques passages sur le disque avec plus d’instruments car les morceaux le nécessitaient, mais j’ai tout de même veillé à ce que ça sonne direct. C’était important pour moi d’enregistrer cet album avec une approche différente.

Tu as joué tous les instruments et produit la quasi totalité de l’album. Quelle en est la raison ?

Je n’avais pas vraiment planifié de tout jouer tout seul. J’ai juste commencé à travailler sur « Matador » dans mon home studio et je me suis laissé prendre au jeu. Il y a tout de même eu quelque amis qui ont participé au disque. Loz Colbert (batteur de Ride, NDLR) a par exemple joué de la batterie sur quelques morceaux. Il a vraiment aidé à apporter une structure aux titres sur lesquels il a joué. J’ai travaillé sur ce disque de la même façon que j’enregistre des démos. J’arrivais au studio, je travaillais sur quelques idées. Une fois abouties je les enregistrais. L’album a pris forme de cette façon. On retrouve beaucoup de premières prises que ce soit pour ma voix ou pour les instruments. J’ai juste ajouté le minimum nécessaire à chaque chanson. C’était vraiment excitant de travailler de cette manière, j’y ai vraiment pris beaucoup de plaisir.

Cela doit te donner envie d’enregistrer le prochain disque de la même façon ?

Pourquoi pas. J’ai déjà quelques idées en tête. Ce sont les limitations du home studio qui m’ont séduit. Parfois, dans les studios professionnels, tout est trop facile. Tu as du matériel hors de prix, des ingénieurs professionnels, etc. Dans mon studio, si quelque chose tombe en panne, ça me pousse à devoir trouver des moyens détournés pour arriver à mes fins.

D’excellents morceaux ont parfois pris forme suite à des pannes de matériel en studio

Oui et j’adore cette idée. Certains morceaux de Matador ont pris forme comme ça.

Comment as-tu vécu toute cette période à travailler seul ? D’un côté cela permet d’éviter les compromis, mais de l’autre ce n’est pas évident d’être confronté à ses doutes.

Oui effectivement, les deux aspects sont vrais. Ça m’a fait un bien fou de pouvoir explorer toutes les idées qui me trottaient en tête et de suivre mon instinct. Par contre il y a eu de gros moments de doute. Tu te sens parfois incapable de prendre du recul et de savoir si tel morceau sonne bien ou pas. Mais ça ne m’a pas effrayé plus que ça. Je trouve que cette bataille entre le doute et la certitude plutôt cool car il n’y a jamais de vainqueur. Ces deux sentiments sont toujours en interaction. Mais j’ai aussi la chance d’avoir des gens autour de moi en qui je fais entièrement confiance. Je sais que si je m’égare, ils vont me dire que mon morceau est pourri. C’est rassurant pour moi, maintenant que je suis en solo.

Qu’est-ce qui t’a motivé à enregistrer un disque aux sonorités électro acoustiques ? Y a t-il des albums qui t’ont inspiré ?

J’ai toujours adoré ces sonorités. C’est sans doute le fait de me retrouver tout seul qui a ouvert les portes à plus d’expérimentations. J’ai pas mal été marqué par les disques de Beck et de Grizzly Bear. Ils ont la particularité de te surprendre, de sortir du cadre classique de la chanson. Des instruments inattendus sont joués à des moments où tu t’y attends le moins. Il y a certainement un peu de cela dans « Matador ».

GCI2

 

« The English Ruse » semble être la chanson la moins bien comprise de l’album. C’est pourtant ma préférée car c’est celle que je trouve la plus inattendue et audacieuse.

Je suis vraiment fier de ce titre. Pour moi il résume exactement ce que j’ai voulu faire avec « Matador ». Il y a juste deux instruments de joués pendant les deux premières minutes de la chanson. Une batterie très primaire et une boucle de synthé. La partie de batterie a été enregistrée bien avant que je commence à travailler sur l’album. Je m’amusais juste avec un rythme très basique. Je suis retombé sur cette maquette par hasard et j’ai trouvé le rythme génial. J’ai brièvement envisagé de réenregistrer la batterie et puis finalement j’ai trouvé que la démo avait un charme que je n’arriverais pas à recréer. Ça donne un côté un peu bancal à la chanson, on se demande si quelque chose va arriver. C’est ce qui fait son charme, mais je comprends que certaines personnes n’accrochent pas car ce morceau est un peu atypique.

Les chansons de « Matador » échappent justement à un cadre classique d’écriture. L’album sonne très pop mais chaque morceau nous surprend par sa structure et ses arrangements. Pourrais-tu nous en dire plus sur ce choix ?

Je n’ai pas voulu m’embarrasser des structures classiques car c’est ce que j’ai plus ou moins toujours fait jusque là. J’ai voulu plus de liberté, un peu comme ce qu’il est possible de provoquer comme sensations quand tu écoutes des musiques de films. J’ai pris beaucoup de plaisir à casser ma routine d’écriture.

L’album ne doit pas être évident à adapter à la scène. Quelle approche vas-tu donner à ces nouveaux titres en live ?

Ça n’a pas été si compliqué que ça. D’abord parce que je suis entouré de très bons musiciens sur scène. On se comprend très bien musicalement. Ensuite parce que le premier album représente un peu les fondations de celui-ci. On utilisait déjà pas mal de loops et de samples lors de la tournée précédente. Les nouveaux morceaux n’ont donc pas apporté de gros changements pour l’approche de la scène. Le groupe s’est rapidement approprié les morceaux et a même apporté de nouvelles idées. Donc, tout s’est fait rapidement.

T’attendais-tu à des critiques aussi bonnes pour « Matador » ? Avais-tu le sentiment d’avoir enregistré un album capable de susciter un tel engouement ?

Non pas vraiment. Ça a vraiment été une surprise. J’étais vraiment fier de l’album. Mes proches l’aimaient beaucoup également. Mais il est impossible d’anticiper la réaction des critiques car ils peuvent interpréter l’album d’une façon complètement différente de la tienne. Je suis vraiment fier de son accueil par le public. Presque tous les concerts sont complets. L’album n’est pas hyper médiatisé, j’ai donc le sentiment que tout se passe à l’ancienne, comme à l’époque où quand tu aimais un disque, ça te donnait envie d’aller voir le groupe sur scène. Je suis d’autant plus flatté que je vois ça comme quelque chose de pur. Ce n’est pas du matraquage à la télé ou à la radio qui provoque cet intérêt et je trouve ça vraiment génial.

 

 

Tu as collaboré à la bande originale d’ « Inherent Vice » composée par Jonny Grenwood de Radiohead. Comment t’es-tu retrouvé à travailler sur ce projet ?

Ça c’est passé très simplement. J’ai juste reçu un appel de Jonny me demandant si je voulais passer à son studio pour jammer pendant un jour ou deux et voir ce qu’il pouvait en sortir. Je suis ravis qu’il ait retenu des parties de mon travail car Jonny est quelqu’un qui n’a plus ses preuves à faire. C’est un excellent musicien qui est devenu une pointure respectée dans le milieu de la musique de film.

Cela t’a t-il donné envie d’entamer d’autres collaborations avec des artistes une fois la promotion de « Matador » terminée ?

Je reste toujours intéressé par de possibles collaborations. Si quelque chose se présente ce sera une occasion de tenter une approche musicale différente. Mais j’avoue que j’aimerais beaucoup composer une musique de film un jour.

Le batteur de Ride, Loz Colbert, groupe d’Oxford  a participé à l’album. Tu habites d’ailleurs toujours cette ville. As-tu gardé des liens avec la scène locale ?

Les musiciens de mon groupe sont tous d’Oxford. Il y a tellement de musiciens que je respecte dans cette ville qu’il n’y avait que l’embarras du choix pour leur demander de travailler avec moi. J’ai probablement causé la séparation de quelques groupes en monopolisant certaines personnes pour mes projets ! (Rires).

Tu affirmes ne jamais arrêter de composer, même en tournée. Disposes-tu d’un stock de chansons que tu utilises en fonction de tes différents projets ? Comment fais-tu le tri parmi celles-ci ?

J’ai beaucoup de maquettes et de chutes de studio non utilisées qui traînent à la maison. Il reste pas mal de morceaux qui n’ont pas été utilisés sur « Matador ». Je les ai écoutés récemment et j’ai été agréablement surpris par leur qualité. J’ai enregistré beaucoup de titres pour cet album. J’ai regroupé ceux que je pensais être les meilleurs et j’ai laissé passer quelques jours avant de les réécouter pour voir s’il manquait quelque chose. Certains titres comme « Seven Walls », « Oscillate » et « To The Wire » sont très intenses et j’ai eu du mal à prendre la décision de laisser ces trois morceaux sur l’album. Ce n’est que quand je suis tombé par hasard sur une chute de studio qui est devenue « Is It On » que je me suis dit que l’enchaînement de ces quatre morceaux serait cohérent. Tout tient à si peu de choses. Tu vois, rien n’est jamais perdu, je pioche toujours dans mon stock !

La très belle photo de la pochette apparaît comme jouée. Elle est en parfait décalage avec les tonalités et les paroles du disque. Pourrais-tu nous en dire plus sur cette pochette ?

C’est un portrait réalisé par Rankin, un photographe Anglais. On a cherché des idées ensemble car je ne voulais surtout pas de la pochette typique du chanteur compositeur qui se prend au sérieux (rires). Je voulais juste qu’il y ait une part de mystère et d’humour. L’album est assez sombre et personnel, mais dans la vie de tous les jours, je ne me prends pas vraiment au sérieux. Je voulais que la pochette soit le reflet de ma personnalité.

 As-tu justement ressenti un besoin d’aborder ces sujets très personnels dans tes chansons ?

Non, pas du tout. C’est juste que je n’ai plus peur d’être honnête quand je rédige mes textes. Tout est venu du plus profond de moi. Ça ne me dérange plus de dévoiler des passages difficiles de ma vie ainsi que mes émotions. J’aime beaucoup certaines chansons de Neil Young ou l’abum « Plastic Ono Band » de Lennon car on les sent vraiment se livrer avec grande honnêteté, on a presque l’impression que c’est vital pour eux de le faire. Il en sort des émotions très brutes et le résultat est juste magnifique. Je sais que je n’arriverai jamais à leur cheville, mais je me suis dit que si je pouvais juste arriver à composer des textes dans cette veine sans qu’ils sonnent trop moroses ou dépressifs en y ajoutant un zeste d’humour ce serait déjà pas mal.

L’équilibre ne doit pas toujours être facile à trouver.

Non, ce n’était pas évident. Mais tu sais c’est très représentatif de ma personnalité. J’adore les comédies très sombres. Tu sais, ces moments où te ne vois plus d’issue et soudain il y a un rebondissement bien tordu qui te fait mourir de rire. C’est cette petite touche de lumière que j’ai essayé d’apporter aux chansons de « Matador ». A la fin du morceau, tu te dis finalement que peu importe ce qui est arrivé avant, tout va bien se passer maintenant et que ce n’était pas si grave. J’espère y être parvenu.

 

Crédit photos : Alain Bibal

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *