DOMINIQUE A – La Musique Et La Matière
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Comme la nouvelle livraison de Dominique est un diptyque, composé d’un disque destiné aux "néophytes" ("La Musique") et d’un autre adressé aux "connaisseurs" ("La Matière"), cette chronique a été rédigée à quatre mains, soit dix doigts de connaisseur et dix de presque néophyte.
Laissons d’abord la parole au connaisseur :
En 1992 paraissait sur le petit label Lithium "La Fossette", premier album d’un certain Dominique A. Ce disque solitaire, minimaliste par la force des choses, aurait pu ne rencontrer qu’indifférence polie et vite sombrer dans l’oubli. Il connut un destin tout autre, suscitant d’innombrables vocations chez des musiciens français soudain décomplexés – c’était donc possible de faire de la chanson comme ça – et marquant le début d’une carrière intègre et exigeante.
Dix-sept ans et sept albums plus tard arrive "La Musique", que son auteur décrit avec humour comme "La Fossette" version Red Bull". Enregistré par Dominique A seul avec plein de synthés et de machines diverses, ce disque aux réminiscences new wave/électro-pop a en effet des allures de retour aux sources et de bilan. Pour autant, on est loin d’un simple décalque de cette œuvre inaugurale – pas vraiment le genre de la maison. Parce que l’époque, la technologie et le chanteur lui-même ont changé, évidemment. "La Musique" est autant nourri de "La Fossette" que des disques qui ont suivi, même s’il s’inscrit en réaction aux deux précédents, "Tout sera comme avant" et (dans une moindre mesure) "L’Horizon", œuvres ambitieuses témoignant d’un désir de se confronter à la "Chanson Française". C’est un disque simple, direct et explicitement conçu comme tel.
L’auteur du "Courage des oiseaux" y livre quelques-uns de ses plus beaux morceaux. "Le Sens", en ouverture, tout en "poum-tchak" étiques, semble chanté du bout des lèvres, comme une invitation à ne pas prendre trop au sérieux cette quête de sens qui est celle de toute vie ; l’auteur lui-même semble s’en amuser, ce qui n’empêche pas cette chanson de peu d’être extrêmement émouvante. Plus loin, "La Musique" rappelle "La Mémoire neuve" (de l’album du même nom) par son mélange d’évidence et de profond mystère. Ici, pas de textes fleuves comme sur l’album précédent ("L’Horizon", "Rue des Marais"), mais une langue toujours aussi évocatrice et poétique, qui prend le large à la première occasion ("Des étendues/J’en veux encore"), loin des décors étriqués dans lesquels se complaît souvent la chanson d’ici.
L’édition collector présente un deuxième CD de 12 titres, "La Matière". Chansons moins évidentes, parfois un peu plus "concrètes", voire triviales ("Bel Animal"), qui auraient sans doute rompu le bel équilibre de "La Musique" si elles y avaient été incluses. Telles quelles, elles se tiennent, forment un bel ensemble et semblent dire qu’au fond, chez un artiste majeur, rien n’est mineur.
La parole revient désormais à la néophyte, qui a découvert Dominique A avec "La Mémoire neuve", bien après 1995 :
Il convient tout d’abord de dire que la néophyte n’est pas, mais alors pas du tout, branchée chanson française. Mais, un jour, une amie lui passe en boucle une vieille cassette de "La Mémoire neuve" sur le trajet Paris-St-Nazaire. Révélation. Dominique A, ce n’est pas de la chanson française !
Confirmation avec ‘La Musique". Les albums de Dominique A, on peut les écouter toute la journée. Attentivement ou en fond sonore. Ce qui est frappant à l’écoute de "La Musique", c’est que l’on peut l’écouter comme un album de pop anglaise, sans faire attention aux paroles car c’est musicalement simple et bien construit, mais pas redondant pour autant. A l’inverse des insupportables Bénabar et consorts, l’édifice ne tient pas par les tragi-comédies bobos racontées par des auteurs qui s’inventent musiciens. Dominique A EST un musicien. Dans un reportage sur un foyer Emmaüs paru dans le n° 697 des "Inrockuptibles" où Dominique jouait les rédacs chef invités, l’écrivain Robert McLiam Wilson le qualifiait de "popstar". Si le mot n’était pas si négativement connoté, on le lui appliquerait nous aussi sans hésiter. Pas étonnant, donc, qu’il soit l’un des rares auteurs-compositeurs-interprètes français à sortir sans trop de dommages du "J’aime pas la chanson française" de Luz.
Avis, donc, aux détracteurs de la chanson française et aux amateurs de pop anglo-saxonne : si vous n’avez pas encore sauté le pas, filez chez votre disquaire acheter "La Musique" et signez votre entrée dans l’univers de Dominique. Ecoutez en sus "La Matière", vous obtiendrez un "A" tant sur le fond que sur le forme.
A la mémoire de Fabrice Ponthier.
Marie Gallic et Vincent Arquillière
A lire également, sur Dominique A :
le compte-rendu du concert au Théâtre de l’Athénée (2009)
l’interview (2009)
l’interview (2008)
la chronique de « Sur Nos Forces Motrices » (2007)
l’interview (2006)
la chronique de « L’horizon » (2006)
la chronique de « Tout sera comme avant » (2004)
l’interview (2004)
l’interview (2002)
la chronique de « Auguri » (2001)
la chronique de « Remué » (1999)
La Musique :
Le Sens
Immortels
Nanortalik
Qui es-tu ?
Hasta que el cuerpo aguante
La Musique
Je suis parti avec toi
Le Bruit blanc de l’été
Des étendues
Les Garçons perdus
Hôtel Congress
La Fin d’un monde
La Matière :
Valparaiso
Il ne dansera qu’avec elle
J’aimerais voir le jour tomber
Bel animal
L’entretemps
Dans l’air
Barbara de Kalvalid
Rendez-vous avec la matière
Seul le chien
Tant que j’ai encore une ombre
La Vérité
Fatigué