Il ne s’y attendait pas forcément quand il a sorti il y a dix-sept ans « La Fossette », mais Dominique A a bâti ce qu’il convient d’appeler une carrière et une oeuvre. A 40 ans, il revient avec son huitième album studio, le superbe « La Musique », qui présente quelques similitudes avec son premier : enregistrement en solitaire, recherche de simplicité, sonorités synthétiques… L’occasion de mesurer le beau chemin parcouru depuis ses « glorieux débuts », et de rencontrer une fois de plus un artiste toujours aussi affable. Interview en manteau sur un balcon de la rue Saint-Maur, endroit le plus calme dans les locaux de sa maison de disques, Cinq7.
Tu décris ton nouvel album comme « La Fossette » version Red Bull ». Au-delà de la formule, il semble que tu avais une idée très précise de ce que tu voulais faire. T’es-tu posé plus de contraintes que pour les précédents ?
Je m’en pose toujours, mais elles sont limitées, avec possibilité de faire un retournement acrobatique pour partir dans une tout autre direction. En fait, j’ai voulu tellement anticiper les commentaires par rapport à « La Fossette » que finalement j’ai mis les deux pieds dedans… Disons que l’idée était de faire un disque « anti-folk », au sens propre (rires). Je n’ai pas vraiment ressorti mes vieilles machines, mais j’ai acheté du matériel synthétique et « boîte-à-rythmique » pour voir ce qu’il en sortirait. Je voulais être dans un rapport très brut à l’écriture des chansons. C’est en cela que ça fait le lien avec mes glorieux débuts. Parfois, je laissais tourner quatre accords pour voir ce que ça pouvait donner. La chanson « Le Sens », qui ouvre l’album, est vraiment symptomatique de ça : j’ai mis une base sur une piste, et de fil en aiguille le morceau s’est construit. J’avais un texte qui traînait, je l’ai adapté, ça collait. Il n’y avait pas d’idée préconçue par rapport à l’écriture, je ne cherchais pas à faire de « grandes » chansons. Il n’y avait pas de classicisme en vue.
C’était le cas sur « L’Horizon » ?
Oui, et sur « Tout sera comme avant », aussi. Je cherchais à me mesurer à la « sainte trilogie » (Brel, Brassens, Ferré ? – ndlr), et aux autres, ceux qui sont venus après. C’était un peu… peut-être pas illusoire, parce que l’espoir fait vivre, mais il y a un moment où cette méthode-là montre ses limites. Pour ce disque-là, l’ambition était le cadet de mes soucis. Ce que je voulais, c’est que dès le départ les chansons soient prises pour argent comptant ou rejetées, que ça ne tortille pas. Alors que la réception de mes disques, généralement, c’est des commentaires du genre « C’est beau mais c’est compliqué » ou « C’est compliqué mais c’est beau »…
Ou « C’est beau mais c’est triste ».
Oui, aussi… En tout cas, la volonté avec celui-ci, c’était que ce soit tout sauf compliqué.
On retrouve cette volonté d’épure, de simplicité, aussi bien dans les chansons que dans la pochette, le titre du disque, « La Musique », ou même le clip d' »Immortels ».
Je crois que de façon inconsciente, tout va dans le même sens. Autant sur le précédent j’étais dans l’idée d’une base très claire, guitare-voix avec plein d’enluminures derrière, et tout un arrière-plan qui se déploie au fil des écoutes, autant pour celui-ci je voulais que tout soit mâché, donné – bon, évidemment, c’est pas hyper formaté non plus -, que tout soit très direct, et qu’il y ait une adhésion ou un rejet immédiat. La vidéo, je n’y avais pas trop réfléchi, mais elle est effectivement très simple (on y voir principalement Dominique courir face caméra – ndlr). En partie pour des histoires de sous, le fait qu’on le fasse vite et qu’il faille trouver une idée et une seule… Mais c’est vrai que je suis dans un rapport beaucoup plus frontal à mon travail. Ce n’est pas un déni de ce que j’ai fait avant, plutôt une question d’équilibre entre différentes envies, de périodes. En gros, un jour c’est blanc, un jour c’est bleu, un autre c’est rouge… Oh putain, bleu-blanc-rouge, l’inconscient a parlé ! Bon, enfin, tout cela est bien français ! (il éclate de rire)
Ce sont aussi les couleurs du drapeau britannique…
Alors, va pour l’Union Jack ! (rires)
L’achat d’un 32-pistes numérique a été le déclencheur de quelque chose ?
Tout à fait. Au départ, je pensais racheter un 8-pistes pour faire des maquettes, car celui que j’avais ne fonctionnait plus. J’étais avec ma copine et elle me regardait d’un air affligé, du genre : « T’es vraiment une feignasse ! » (rires) Du coup, j’ai pris un modèle plus perfectionné, mais il m’a fallu deux bons mois pour m’apercevoir que ce n’était pas un 16-pistes mais un 32-pistes ! Les premières chansons ont donc été enregistrées sur seize pistes… Je maîtrise assez mal tout ce qui est technologies modernes, mais je me soigne, et là ça m’a permis de me soigner vraiment. C’est un jouet incroyable, pour 1 100 euros on a des possibilités… je ne dirais pas illimitées, parce que mine de rien, 32 pistes à l’heure du numérique, ce n’est plus grand-chose. Ça pose quand même un petit cadre. Ma liberté, comme toutes les libertés, s’épanouit mieux dans un cadre, où l’on puisse dire à un moment : « Là, faut s’arrêter ».
Concrètement, comment as-tu procédé ?
Ce que je faisais beaucoup, c’était de jouer les mêmes parties, les mêmes arrangements avec des sons différents. J’avais aussi l’idée de travailler sur le gimmick, il y en a plus sur « La Musique » que sur aucun de mes disques. Et l’envie d’enregistrer sans micro, hormis la voix et les guitares acoustiques, qui ne sont pas très nombreuses. Même les guitares électriques étaient branchées directement sur la console. Je voulais obtenir un son un peu ingrat, tout en sachant que Dominique Brusson – alias Dominique B – allait bosser derrière. Un gros travail de mix a ainsi permis d’éviter l’écueil du retour à la lo-fi, du retour au home studio… Je voulais qu’on ne sente nulle part qu’il s’agissait d’un enregistrement domestique, bien qu’à l’origine ce soit assez rudimentaire. J’avais déjà bossé comme ça avec Dominique pour « Remué », on l’avait fait avec un simple 16-pistes numérique, et franchement ça ne s’entend pas.
Qui joue sur le disque, à part toi ?
Moi (rires). Au départ, pour les claviers, je voulais faire appel à un excellent ami musicien, David Euverte, avec qui je travaille depuis cinq ans et qui avait participé à « L’Horizon ». Mais de fil en aiguille, j’ai joué toutes les parties de claviers moi-même, donc ça ne lui aurait pas laissé beaucoup de place. Après, j’ai pensé à prendre un batteur pour avoir un son plus organique, mais finalement j’ai préféré garder des boîtes jouées à la main, et non programmées sur ProTools, avec cette idée de rythme qui file droit, qui ne s’interrompt quasiment pas. C’est en cela aussi que ce disque rejoint « La Fossette », dans ce côté Martin Rev, on appuie sur un bouton et ça part. Les rythmiques sur « La Musique » ressemblent au clip d' »Immortels », c’est comme une course. Je trouve qu’il y a quelque chose de limite obscène dans l’idée de programmer une rythmique censément groovy sur une machine. Il y a là une science du détail qui me semble presque fascisante.
On retrouve sur cet album des influences new wave, électro-pop des années 80 : The Blue Nile, Orchestral Manuvres in the Dark…
J’ai lâché la bride à tout ça, mais sans en faire une montagne. Je ne suis pas non plus dans le clin d’il façon Les Rythmes Digitales, ça ne m’intéresse pas. L’idée, c’est plutôt de ne pas craindre la perception que peuvent en avoir les gens. Le seul clin d’il très appuyé, c’est le pont de « Nanortalik » qui sonne très OMD ou Ultravox. Là, je me suis vraiment fait plaisir… tout en ne faisant pas trop plaisir à Dominique Brusson, que ça a bien fait rigoler sur le moment ! Et puis il s’est fait une raison, tout en ayant un peu honte de mixer cette minute-là. Mais ça m’aurait chagriné de faire un disque kitsch, car j’ai beaucoup plus de respect que ça pour cette musique-là. L’autre jour, quelqu’un me disait que ce disque marquait un retour aux années 80, et je lui ai répondu : « Encore faudrait-il que j’en sois sorti ! » (rires) Tous ces groupes, c’est un peu mes Stones à moi, mais je ne les réécoute pas non plus tous les jours. Et je crois que l’album peut parler à des gens qui n’ont pas connu cette époque-là. Il y a des personnes nées après 1996 qui ont l’air d’apprécier ! (rires) Par ailleurs, on peut trouver des liens avec « La Fossette » comme avec « Remué », sur un morceau comme « Qui es-tu », avec certains traitements de sons…
Tu vas donner des concerts solo, mais aussi en groupe. Tu vas réarranger les nouveaux morceaux pour la scène ?
Un peu, car paradoxalement, ce sont des morceaux difficiles à jouer seul. J’aurai un batteur, même s’il y aura peut-être quelques séquences rythmiques. Je ne voudrais pas tomber dans quelque chose de trop mécanique, de trop froid, tout en restant dans ces sons-là, ces textures, avec beaucoup de claviers notamment. J’ai tellement l’habitude de réarranger mes chansons pour le live que les jouer « normalement », dans leur forme initiale, c’est un challenge.
En allant regarder tes clips sur YouTube, je suis tombé sur une reprise live du « Twenty-two bar » par Renan Luce, avec une chanteuse que je n’ai pas identifiée avec certitude, mais qui devait être Jeanne Cherhal…
Je pense que c’était elle, oui.
Ça te fait plaisir que d’autres artistes te rendent hommage, revendiquent ton influence ?
Oui, bien sûr. Parfois, je suis un peu surpris… Mais à la limite, si Pagny reprenait « Mes lapins » (un bref morceau de « La Fossette », ndlr), ça ne me déplairait pas. Enfin, ça me ferait bien rire !
Ses lapins doivent se nourrir de carottes de Patagonie…
Sans doute (rires). Enfin, moi, ça ne m’engage à rien. Je ne me sens responsable d’aucune réussite ni d’aucune bavure à partir d’une de mes chansons. Le réflexe de propriétaire disparaît dès le moment où je ne suis plus l’interprète.